Agora, Com & Société

Les discours de Newtown

 
La fusillade de Newtown du 14 décembre 2012 relance le débat autour des armes à feu aux Etats Unis et en fait l’une des préoccupations majeures de la politique d’Obama. La surmédiatisation de l’évènement entraîne de nombreuses analyses qui mettent en avant les chiffres effrayants des victimes d’armes à feu (selon demandaplan.org, 33 personnes meurent chaque jour sous le coup d’une arme à feu aux États-Unis).
Cependant il semble que le traitement médiatique en lui-même échappe aux réflexions, tant il s’insère dans la construction généralisée du fait divers. En tant qu’objet d’étude, celui-ci a été établi depuis longtemps comme la résultante d’un besoin primaire du public, agissant sur les foules comme un catalyseur d’angoisse et d’empathie. Pourtant une brève analyse du traitement médiatique de la tuerie de Newton et de ses effets sur le public nous conduit à penser les limites possibles de ce storytelling de l’information.
À l’instar des fusillades de Columbine, Virginia Tech ou Aurora, le traitement de la figure du tueur devient le centre névralgique du récit construit autour de la tragédie de Sandy Hook. Son identité et son passé sont longuement commentés et alimentent une fascination bien connue du public pour les figures transgressives. Cette prise de position des médias peut néanmoins s’avérer problématique : d’une part, elle reflète souvent l’ambition du tueur de sortir de l’ombre, et de l’autre elle peut entrainer des mouvements pervers. Ainsi dans le cas du meurtre commis par Luka Rocco Magnotta, la révélation de l’identité du meurtrier à entrainé la naissance de nombreux blogs de fans lui vouant un culte. Mieux encore, il a été nommé fin décembre “NewsMaker of the Year 2012” par The Canadian Press. Cette distinction a provoqué de vives réactions, obligeant les jurés à justifier leur choix par l’omniprésence du tueur dans les médias et le traitement médiatique dont il a bénéficié. Ce prix ne serait que l’illustration de choix éditoriaux qui, dans la course à l’audience, misent sur les ressorts passionnels du fait divers plutôt que sur l’analyse raisonnée, qui est alors relayée au second plan.
Face à ce triste constat, force est d’admettre la puissance marchande du fait divers et son impact émotionnel sur le public. Nécessaire donc, mais dans une certaine limite. Si elle n’est pas précisément encadrée, l’exposition des faits divers les plus violents comme la tuerie de Newton, présente un risque fort pour le public comme pour les médias. Il peut conduire à une désensibilisation des publics, mais aussi à un effet de défiance pour l’appareil médiatique.
Dans le cas de Sandy Hook, l’attention est détournée des problèmes sociaux au profit d’une lutte d’influence politique, menée de front par la NRA. En proposant de poster des policiers armés dans chaque école, Wayne LaPierre élude le problème des motivations psychologiques du tueur. L’inquiétante porosité des frontières entre fiction et réalité n’entre pas dans le combat politique. Ainsi, la fusillade et le discours d’Obama ont eu pour conséquence une hausse notable de la vente d’armes à feu et la prolifération des discours “pro-guns”. La vision ironique d’Art Spiegelman, représentant des enfants armés pour aller à l’école sur une couverture du New-Yorker en 1993, pourrait devenir réalité.

Pour s’opposer à cette spirale infernale 800 maires américains ont constitué l’association demandaplan.org, qui souhaite obtenir de l’administration Obama un contrôle plus règlementé de la vente d’armes à feu. Cette campagne bénéficie d’une large médiatisation, en partie due au soutien d’Hollywood. Dans un clip qui dépasse les 6 millions de vues, acteurs et entertainers nous invitent à rejoindre leur action contre la violence des armes. Dans cette lignée, comment ne pas proposer une réflexion « de l’intérieur » sur l’influence des produits culturels, qui font le succès d’Hollywood, auprès des jeunes générations. Une telle vidéo n’en serait que plus pertinente.
Cette question cruciale nous renvoie ainsi au rôle des médias dans notre manière d’appréhender les événements comme celui de Newton. Phénomène récent, le commentaire du fait divers s’émancipe de la sphère médiatique officielle et gagne les réseaux. Face à la prolifération de ces discours anonymes, la police d’État du Connecticut menace de poursuivre les utilisateurs qui répandraient volontairement de fausses informations concernant la tuerie. Le citoyen, par tous les biais, cherche à s’approprier ces récits.
L’intense médiatisation de la tuerie de Newton donne à cet évènement tragique un poids politique fort, susceptible d’influencer le vote citoyen. Ancré dans une société, le fait divers en révèle bien souvent les pires travers, et finit peut-être par l’incarner s’il occupe une place trop grande dans notre hiérarchie de l’information.
 
Clémentine Malgras
Sources
Sandy Hook Shooting: The Speculation About Adam Lanza Must Stop
http://www.demandaplan.org/
http://www.newyorker.com/online/blogs/hendrikhertzberg/2012/12/guns-in-banks-are-not-like-guns-in-schools.html
Howard Kurtz and Lauren Ashburn weigh in on the media's coverage of the Newtown shooting

Société

Le discours des vœux présidentiels ou la communication républicaine normalisée

 
Depuis sa naissance, la Ve République est rythmée par un rituel républicain, mais surtout médiatique, hautement symbolique, auquel se prête chaque président de la République le 31 décembre au soir. Le discours des vœux présidentiels reste un rendez-vous télévisé annuel majeur, retranscris pendant les journaux de quatre chaînes historiques : TF1, France 2, France 3, et M6. Ce mélange public/privé témoigne d’ailleurs de l’engouement autour de cet événement politico-médiatique.
Ce rendez-vous constitue pour le chef de l’État un moment privilégié lors duquel il s’adresse aux Français en toute légitimité. Nul besoin en effet de quelque événement particulier, le 31 décembre est le rendez-vous traditionnel du président et de ses concitoyens. Valéry Giscard d’Estaing le rappelle dans son intervention du 31 décembre 1980 en ces termes :
« C’est (…) un de ces instants – bien rares en vérité – où je peux m’adresser à vous sans être tenu par un sujet particulier. »
Ce lundi 31 décembre, François Hollande a, à son tour, dû s’acquitter de cette tâche traditionnelle. Porté par une mise en scène télévisuelle très solennelle, debout dans la salle des fêtes de l’Elysée, le Président de la République a franchi une nouvelle étape de l’appropriation  d’une rhétorique présidentielle normalisée (plus que normale).
 
Le changement, pas maintenant
« Se plier à une tradition n’interdit pas d’y introduire un brin d’innovation » écrit le journaliste T. Wieder dans le Monde. Hollande ne semble pas en effet avoir eu l’intention de révolutionner le discours des vœux cette année. Il aura préféré suivre l’exemple de ses prédécesseurs, et notamment celui de Jacques Chirac, lors de son premier discours de vœux en 1995. Quand Hollande prévoit de résorber le chômage « coûte que coûte », ça n’est pas sans rappeler les paroles de Chirac : « Notre priorité depuis sept mois, c’est l’emploi ». Ils évoquent tous les deux la « responsabilité » des syndicats, les angoisses quant à la crise, et la nécessité de la « mobilisation de tous » pour garantir un avenir meilleur.
 
Le jeu présidentiel
Ces discours, malgré la stabilité apparente de la forme, peuvent révéler des ethos singulièrement contrastés et des conceptions souvent différentes de la fonction présidentielle.  Il s’agissait pour Hollande d’établir sa propre crédibilité par la mise en scène de qualités morales comme la bienveillance et la sincérité.
Lors de son discours, le Président de la République aura beaucoup employé la première personne du singulier, moins fréquemment la première personne du pluriel, rarement la seconde. Cette prédominance du « je présidentiel » suggèrerait deux choses. La première est l’affirmation dans ce discours de la tendance présidentialiste du régime. La seconde, néanmoins paradoxale, serait le sentiment que notre actuel Président rechercherait encore une légitimité face au Français.
A travers l’exposition et la justification des réformes accomplies lors de ce discours, on croirait voir s’exprimer un candidat qui défendrait son programme. Hollande évoque ainsi la « belle tradition »,  référence qui légitime sa prise de parole. Dans l’exorde toujours, il rappelle que son élection de Président de la République s’est effectuée au moment où s’épanouissent« une crise historique, un chômage qui progresse (…) et une dette record. ». Cet argument justifierait la difficulté de sa fonction et de ses pouvoirs. A l’heure où les sondages continuent de jouer en sa défaveur, cet exercice républicain semble être une belle occasion de redorer son image d’un peu de crédibilité et de légitimité. Légitimité par exemple, de son orientation sociale-libérale : « Voilà, le cap est fixé : tout pour l’emploi, la compétitivité et la croissance. »
 
Meilleurs aveux 2012 ?
François Hollande aura choisi pour ce discours de vœux un ton réaliste lorsqu’il avoue au début de son allocution : «  je n’entends pas vous dissimuler les difficultés qui nous attendent. Elles sont sérieuses. ». Quand le Président De Gaulle choisissait d’exulter la puissance économique et politique de la France, François Hollande a préféré la sincérité et l’argumentation technique. Quel étrange moment que le discours des vœux pour avouer les difficultés qui attendent la nation. Mais il contrebalance cette tonalité pessimiste par son optimisme (de nature plus que de circonstance) : « Ce soir je veux vous dire ma confiance en notre avenir. (…) Ma confiance, elle est surtout dans la France. » Ce flegme optimiste ainsi que l’appel républicain à la « mobilisation de tous » est solidaire du célèbre leitmotiv américain du Président Obama « Yes We Can ».
 
Je te vois, tu me vois
Enfin, ce rituel républicain suggère le jeu très symbolique du regard réciproque, qui relève de la représentation politique. Quand le Président déclare « Je n’ignore rien de vos inquiétudes. Elles sont légitimes. » ; il rappelle aux Français qu’il peut les « voir », les connaitre, les comprendre. Or, eux-mêmes ont l’occasion lors de ce discours télévisé de « voir » le président dans une certaine transparence. Ce 31 décembre, 11,580 millions de Français ont suivi le  premier discours des vœux du Président François Hollande. 11, 850 millions d’électeurs ?
Margaux Le Joubioux
Sources :
INA- discours des vœux présidentiels sous la Ve République
Le Monde – 2janvier 2013
Le Point.fr
Site officiel de l’Elysée
FinnissBoursin Françoise, Les Discours De Voeux Des Présidents De La République – La France Au Fond Des Yeux
Jean-Marc Leblanc, Les messages de vœux des présidents de la Cinquième République : L’ethos, la diachronie, deux facteurs de la variation lexicométrique

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Société

La Valls-mania : splendeurs et misères d’un virtuose de la communication

Camps de roms, émeutes, violences urbaines, tueries policières… L’effervescence politico-médiatique autour du Ministre de l’Intérieur révèle une fascination pour celui qui fut aussi le directeur de communication de la campagne de François Hollande,  à tel point que certains le rêvent déjà à Matignon.
 Comment ce virtuose de la communication parvient-il à incarner la figure du chef dans un gouvernement en recherche de leadership ?  Si l’actualité brûlante et le charisme du Ministre pèsent lourd dans la balance, M. Valls est toutefois parvenu à se tailler, seul,  un costume de leader du gouvernement.
Depuis l’été, les projecteurs sont braqués sur lui. Toujours  plus populaire, l’« hyperministre » ne cesse de séduire l’opinion et l’exécutif, et de s’attirer les sympathies de l’opposition. C’est à l’Université de la Rochelle que le  phénomène Valls s’est  déployé dans toute sa splendeur, à travers un discours ferme, aux accents sécuritaires : « Je continuerai à mener le démantèlement des campements là où il y a de la misère sociale et sanitaire, de l’insalubrité. » Manuel Valls, adepte des formules grinçantes, a même tonné que la gauche devrait rétablir l’ordre républicain dans les quartiers où il y a « un ordre de la jungle ».

Le Ministre de l’Intérieur a profité d’une actualité estivale ultra-chargée.  Des émeutes d’Amiens en août aux règlements de compte en série à Marseille, en passant par les manifestations islamistes ou le double meurtre d’Echirolles, Manuel Valls  a pu mettre en œuvre son art de  manier le verbe et de maîtriser l’image, revêtant le costume du tribun et séduisant les médias. Il aurait ainsi donc  tenu le pari de l’alchimie complexe qu’est la communication politique, alors que les courbes de popularité de l’exécutif s’affaissent.

Cet accomplissement scelle une longue métamorphose, si on se souvient des premiers pas de M. Valls en politique à la tête des jeunes socialistes européens. Toutefois, il ne suffit pas à étouffer certains paradoxes : il n’est en effet  pas rare de lire dans la presse que la femme du Ministre, Anne Gravoin, influence les prises de position de son mari avec, dernièrement, une sortie  sur la « tolérance zéro » envers les SDF “fleurissant” sur les trottoirs, suite à une brève agression de la violoniste dans la rue. Si le Ministère a assuré qu’il n’y aurait aucune mesure privative, on se souvient  des déclarations de Mme Valls cet été à propos de la femme de Jean-Marc Ayrault,  affirmant qu’il était plus glamour d’être violoniste que « prof’ d’allemand ». Autant de couacs qui pourraient finir par porter préjudice à l’image de son mari.

Dans un paysage politique où le Premier Ministre peine à incarner l’autorité auprès de ses ministres, Manuel Valls apparaît, d’une certaine manière,  comme son héritier naturel, se saisissant des valeurs de courage et de fermeté dans un contexte de violences urbaines. Il joue aussi le rôle de l’homme d’action dans  un gouvernement trop souvent taxé d’ « attentisme ».

 Danaé DM

 

Flops

Un pas en avant, deux pas en arrière…

 
Entre chili con carne, nucléaire, cannabis, les membres du jeune gouvernement Ayrault s’expriment à leur guise au détriment de sa cohérence et de sa crédibilité.
Six mois après la victoire de François Hollande, une suite de maladresses donne l’impression que le nouveau gouvernement a bien du mal à donner l’image d’une équipe forte et soudée.
Prenons le cas Peillon. Dès le 17 mai 2012, soit 24 heures après sa nomination, le tout nouveau ministre de l’Éducation crée la polémique en annonçant sans crier gare le retour de la semaine de cinq jours pour les élèves du primaire, prenant de court ses nouveaux collègues.
Difficile de savoir si Vincent Peillon avait prévu l’impact de sa déclaration. Mais, sa détermination à vouloir faire passer une loi sans que parents et professionnels du secteur n’aient été consultés a eu son petit effet. Et le Premier ministre de corriger le tir le lendemain : « la méthode, c’est la concertation » . Apparemment, les élans de Vincent Peillon ne plaisent pas… bien qu’ils entrent dans la logique des propositions de campagne du candidat Hollande. Le ministre n’irait-t-il pas un peu trop vite ?
L’annonce soudaine de cette réforme arrive alors comme un cheveu sur une soupe pas tout à fait prête. Elle inaugure surtout la série de couacs dans la communication du gouvernement.
En bon chef, Jean-Marc Ayrault veille et semble toujours là pour rattraper les écarts de ses ministres. C’est ainsi que le 14 octobre dernier, le même ministre de l’Éducation affirme au micro de France Inter (Tous politiques) qu’il était favorable à l’ouverture d’un débat sur la dépénalisation du cannabis. Encore une fois, les réactions ne se font pas attendre, notamment sur les réseaux sociaux… Là où le ministre affirme plus tard qu’il ne faisait qu’émettre un avis personnel indépendant de la politique du gouvernement, la rapide et virulente réaction d’ Ayrault laisse entrevoir la profondeur du problème communicationnel qui sclérose son équipe.
« Lorsqu’ils sont à la radio et la télévision, ils doivent défendre à la fois la politique de leur ministère et la politique du gouvernement, et rien d’autre »
D’autant plus que le Premier ministre avait déjà du subir les foudres de la droite lorsque, le 5 juin dernier, la ministre de l’Egalité des territoires et du Logement Cécile Duflot laissait également entendre ses positions quant au statut pénal du cannabis . Au-delà du recours récurrent au joker de « l’opinion personnelle qui n’engage personne d’autre », ne faut-il pas voir dans les déclarations de l’ex-secrétaire nationale d’Europe Écologie les Verts une tentative d’insuffler ses idées au sein du gouvernement au profit de son parti d’origine ? Faut-il voir à travers les « bourdes » dans la politique du gouvernement l’absence d’une cohésion et d’une cohérence ?
Ces dissonances entre membres du gouvernement créent une véritable cacophonie qui met en doute la crédibilité du premier gouvernement socialiste depuis 2002. L’opposition UMP ne se garde pas d’ailleurs de le souligner comme si la perche lui était constamment tendue.
Le désordre ministériel semble alors arriver à son paroxysme lorsque le 24 octobre dernier le Premier ministre lui-même devient un « élément perturbateur ». En effet, ce jour-là Jean-Marc Ayrault devance les Sages et annonce un jour avant la prise de décision du Conseil Constitutionnel le sort de la loi Duflot sur le logement social. L’UMP profite de cette nouvelle fausse note pour dénoncer ce qu’elle considère comme une « négation de l’indépendance de l’institution ». Notons que le Premier ministre présentera ses excuses le lendemain à l’Assemblée : « Je me suis peut-être trompé en anticipant un peu ». Peut-être…
Libération sanctionne ce nouveau faux pas avec sa une « Les Apprentis » du 25 octobre 2012. La photographie rend encore plus claire la référence au film de Pierre Salvadori. Faut-il donc considérer les fautes du gouvernement comme de simples erreurs de jeunesse ?
En outre, le Premier ministre semble être la cible d’un « Ayrault bashing ». Il répond à ses détracteurs en dénonçant des « chroniques de démolition quotidienne ». Jean-Marc Ayrault précise tout de même que tout cela ne l’intéresse pas. Mais, son intérêt devrait peut-être (justement) se porter sur les problèmes de communication et le manque de cohésion de son équipe ? Surtout si on prend en compte sa mauvaise cote de popularité sans cesse mise en avant dans les médias.
 
Khady So

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WHAT THE ELLE ?

 
Il est particulièrement difficile quand on décide de s’atteler au douloureux labeur que représente un plongeon dans la lecture de ELLE, de ne pas céder à la tentation facile de mimer le style léger et « ludique » du magazine, et donc à multiplier à son tour les bons jeux de mots, forcément mauvais.
On ne reviendra pas sur le tollé médiatique qu’a suscité l’article désormais notoire, « Black Fashion Power », qui avait conduit le magazine à se tirer avec allégresse une balle dans chacun de ses deux pieds. D’abord en publiant l’article, puis en proposant des justifications signées par la rédactrice en chef, plutôt que des excuses. Alors voilà, une fois le magazine à terre, difficile de remuer le couteau dans la plaie sans paraître nécessairement affreux, sale, bête et méchant.
Néanmoins, la tentation est grande. Il est toujours particulièrement grinçant de voir une publication féminine, écrite pour les femmes par les femmes comme elle s’en targue, se mettre à s’emmêler dans des simplifications grossières, habituellement réservées aux logorhées d’une Nadine Morano. Quand on caricature le style vestimentaire afro-américain en le limitant à un détournement schématique des « codes blancs » agrémentés de touches ethniques (on appréciera d’ailleurs le choix large et varié qui est proposé : « boubou en wax, collier coquillage, créole de rappeur »), on n’est plus très loin du fameux couplage « parler verlan et casquette à l’envers » qui habite l’imaginaire de la ministre.
De deux choses, l’une. D’une part, si la journaliste prétend avoir permis d’alimenter un débat public laissant place à la discussion, on pourra rire amèrement du fait que deux communiqués de presse complaisants aient essayé de camoufler une bévue parfaitement représentée par la nouvelle page sur laquelle le serveur nous redirige en recherchant l’article[1].
« Oups ! erreur »… oui en effet ! serait-on tenté de dire. Il pourrait être judicieux de rappeler à la rédaction que lorsqu’on  aspire à nourrir l’opinion, il est préférable d’éviter de se réfugier dans la solution juvénile du « pas vu, pas pris ».
D’autre part, si on souhaite vraiment retirer quelque chose de positif de cette affaire, comme la journaliste semble y tenir, on pourra dire que contrairement à la plupart des articles de ELLE si tôt lus, si tôt oubliés, ce parfait torche-cul restera dans les annales. Un dernier avantage étant de me permettre de faire d’une pierre deux coups et, par-là, de citer Rabelais[2] dans cet article et proposer alors une allusion grivoise jouant sur des effets d’homonymie. Que voulez-vous, il y a des moments où l’appel du calambour est irrépressible, et ce n’est pas ELLE et sa page PrésidentiELLE qui me contrediront.
S’il est vrai que, faute d’avoir lu le compte-rendu de ELLE sur « L’épilateur électrique, pour les aventurières »[3], la ligne éditoriale de leur site-web m’avait hérissé le poil, j’avais pour autant naïvement cru que cette page PrésidentiELLE allait potentiellement changer la donne. « Mode, beauté, minceur, people, cuisine, déco, loisirs, société, love&sexe, astro, mariage, maman »… passons sur toutes ces charmantes rubriques censées représenter les centres d’intérêts féminins (à cet égard, on remarquera que « culture » et « carrière » sont aux abonnés absents de la rédaction), car en cette année présidentielle, ELLE fait sa PrésidentiELLE.
En arrivant sur la fameuse page, la répétition du mot « femme » et les contestations et revendications qui lui sont généralement reliées est frappante : « Une idée pour changer la vie des femmes », « Quand Le Pen ment sur le dos des femmes », « Présidentielle : les femmes qui vont compter », idem pour le numéro de la semaine dernière : « Carla ou Valérie, le match des premières dames + notre sondage : 70% des femmes souhaitent qu’elles continuent à travailler ». Alors que doit-on penser d’une telle emphase sur la parole donnée aux femmes ? Comment interpréter cette volonté marquée de faire des « questions des femmes », l’objet d’un débat politique fortement alimenté sur la toile, comme le marque déjà le jeu typographique « présidentiELLE » ?
S’il est encourageant de voir un magazine féminin, le temps d’une campagne présidentielle, aménager un espace dédié à ses questions, une telle mise en scène ne paraît-elle pas pour autant légèrement démagogique ?
Ensuite, faire de ces interrogations le fer de lance de la presse féminine, n’est-ce pas à rebours confirmer l’idée que ce débat est avant tout l’affaire des femmes, et donc limité dans sa portée ? Une sorte de foucade, de discussion de salon de thé qui a toute sa place entre le débat sur le retour de la jupe mi-longue en denim et les recettes de soufflé sucré au chèvre frais et fruits rouges[4] ?
Enfin, si certes François Hollande se voit poser des questions sur la parité en politique et dans la société, n’est-il pas décevant de constater que la première formulée par la rédaction soit la suivante : « Si vous devenez président, vous serez le premier à être célibataire. Allez-vous remédiez à cette situation ? ». Comme si finalement, la presse féminine, qui se veut représentative de l’opinion des femmes et de ses centres d’intérêt, ne pouvait s’empêcher de faire rimer politique avec rubriques « mariage, love&sexe » et match de style entre premières dames…
 

 

[1] Elle.fr
[2] Rabelais, Gargantua :
« J’ay (respondit Gargantua) par longue et curieuse experience inventé un moyen de me torcher le cul, le plus seigneurial, le plus excellent, le plus expedient que jamais feut veu. »
[3] Elle.fr/DossierBeauté
[4] Elle à table

 

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Jacques a dit tous aux champs !

 
Le XXIe siècle est définitivement une ère « verte ». Le biologique sous toutes ses formes est des plus tendance, les documentaires pleuvent à propos des agriculteurs qui ont la vie de plus en plus dure, mais surtout, envers et contre tout, le Salon de l’Agriculture fait toujours autant parler de lui après des siècles d’existence. Il faut savoir en effet que ce salon est issu d’un Concours Général Agricole, dont le premier a été lancé en 1870 à Paris. Dédié aux concours d’animaux, il a progressivement évolué en une présentation des animaux et produits du terroir, à l’image de ce qu’on connaît aujourd’hui (même si la tradition du concours demeure). C’est aujourd’hui la plus grande manifestation agricole française, qui a accueilli en 2011 pas loin de 680 000 visiteurs.
Et pourtant, ce n’est pas la nature qui attire visiteurs et journalistes à sillonner les allées au milieu du foin, des vaches et des producteurs vendeurs, mais bien plutôt l’aspect très politique de cet évènement. Si Mitterrand avait l’habitude de faire tous les ans un pèlerinage à la Roche de Solutré, Jacques Chirac a lui instauré une sorte de norme pour les politiques, celle d’apparaître au salon de l’agriculture. L’ancien Président y est en effet apparu chaque année durant toute sa carrière politique, où les médias ont notamment pu remarquer son amour des pommes. En 2008, Nicolas Sarkozy avait souhaité reprendre ce rituel en s’y rendant à son tour peu de temps après son élection, au début de son quinquennat. Avait alors eu lieu le dérapage hyper médiatisé que l’on sait du fameux « casse-toi pauvre con » lancé par le Président, dont il allait entendre parler pendant des années.  Suite à cet épisode, le salon de l’agriculture fut plus médiatisé que jamais, dans la logique désormais de dénicher le « buzz ». Et cette année, année électorale oblige, les politiques étaient plus présents que jamais à la porte de Versailles. Mais on peut du coup se demander qui a influencé l’autre : les politiques, sachant l’ampleur communicationnelle de cet évènement, se sont-ils sentis obligés d’y apparaître ? Ou bien, voyant le nombre de candidats prêts à visiter le salon, les médias se sont-ils mobilisés en masse afin d’être sûrs de ne pas louper l’évènement important qui aurait pu avoir lieu ?
En tous les cas cette année, le salon de l’agriculture s’incruste partout sur internet. Depuis l’inauguration Samedi 25 Février par Nicolas Sarkozy, les agriculteurs ont pu accueillir François Bayrou le Dimanche 26, François Hollande le Mardi 28, Jean-Luc Mélenchon le Mercredi 29, Eva Joly le Jeudi 1er Mars ou encore Marine Le Pen le Vendredi 2. Mais on a pu aussi y voir François Fillon, Ségolène Royal, Dominique de Villepin… Lorsque le rituel croise la période électorale, l’évènementiel devient une arme que personne ne veut laisser au hasard. Pourtant ce n’est pas toujours à leur avantage, comme le prouve l’exemple de Marine Le Pen qui a eu un accueil très chaleureux de ses sympathisants mais a également dû affronter une discussion musclée avec les responsables de la filière viande, suite à ses déclarations au sujet de la viande distribuée en Ile de France qui serait, selon la candidate, exclusivement hallal à l’insu des citoyens. De quoi relancer la polémique sur l’abattage des animaux et mécontenter les agriculteurs dépendants de cette activité.
Le salon de l’agriculture semble donc une étape communicationnelle et médiatique obligée, particulièrement en cette année 2012, bien qu’il ne soit pas forcément un bienfait pour le candidat politiquement parlant. Ce qui montre bien que si le lien entre politique et communication est nécessaire, leur adéquation n’est pas si aisée.
 
Héloïse Hamard
Crédits photo :
©AFP

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Société

Un sauvetage au balcon

Cette histoire est celle d’un conte de fées. Elle parle de femmes, de dentelle, de couture et d’amour. Elle possède son méchant sorcier, ses rebondissements et son preux chevalier. Son action se déroule, comme dans Roméo et Juliette, sur des balcons. Mais ces balcons sont français. Ils sont pleins de monde, et bien protégés par des devantures de qualité. Cette histoire est celle de Lejaby.
Lejaby, fabricant de lingerie made in France, dont l’usine d’Yssingeaux, sur le point d’être fermée, a été sauvée in extremis par un fournisseur de Louis Vuitton (groupe LVMH). Alors, sauvetage politique, sauvetage médiatique ou sauvetage héroïque ? A qui, ou à quoi, doit-on le sauvetage de l’usine d’Yssingeaux et de ses 93 employés ?
Dans cette affaire, il convient tout d’abord de saluer la vaillance des 93 courageux salariés qui ont lutté sans relâche pour sauver leur emploi et leur cadre de travail. Cela faisait près de 3 semaines qu’ils étaient engagés dans une bataille sans merci afin d’empêcher la fermeture de leur usine. Plus que des dizaines d’employés, c’est « tout un territoire » qui s’est soulevé « pour défendre l’emploi industriel » de la région. Dans cette contestation, les Lejaby (comme il est devenu coutume de les appeler maintenant) ont pu compter sur le relai d’alliés de poids : les médias.
De ce point de vue, le sauvetage « lejabyien » pourrait être qualifié de médiatique. En effet, depuis le tout début de cette histoire, les conteurs sont là, qui vous relatent chacun des épisodes de cette épopée. Presse, radio, télévision, internet, blogs, réseaux sociaux : tous relayent l’information et mobilisent la France. Cette histoire de femmes touche les cœurs. Elle émeut particulièrement les Françaises (et les Français, par un lien de cause à effet), premières consommatrices de lingerie en Europe. Pas de surprise, donc, à ce que l’histoire de Lejaby, avec ses sous-vêtements de qualité française adaptés au goût national, les séduise. Derrière une région, c’est un pays qui a focalisé son attention sur le destin d’un fleuron du savoir-faire français. Et derrière la question des emplois, c’est un enjeu politique qui a point.
Après toutes les promesses de sauvetage non tenues, un échec n’était pas envisageable. On ne raconte jamais les défaites d’un chevalier. Ce sont ses victoires qui restent dans la mémoire collective. Et ça, notre héros le sait. Il le sait d’autant plus qu’il n’a pas droit à l’erreur. Ce n’est plus seulement une question de donjon et de dragon, c’en est aussi une de tournoi. Il n’est plus le seul hardi chevalier en lice. D’autres accourent autour de lui dans l’espoir de lui rafler son titre. Il doit prouver à sa princesse et à ses sujets qu’il mérite leur admiration. Il doit convaincre les scribes de raconter son histoire.
Et vu de cet angle, le sauvetage de Lejaby s’apparente plus à une action politique qu’à un acte social. Le repreneur de l’usine d’Yssingeaux n’est-il pas un fournisseur du groupe LVMH, dont le patron est un proche du chevalier ? Le chevalier n’aurait-il pas usé de l’influence qu’il a sur ses vassaux pour sauver la princesse ? De ce fait, n’utiliserait-il pas une victoire obtenue sans honneur pour tenter d’éclipser ses concurrents ? Et que vaudrait un chevalier sans honneur ?
Mais tout ceci n’est qu’un conte. Nous ne vivons pas au temps des chevaliers, des valeurs et de l’honneur. Aujourd’hui, seuls comptent les résultats, ces derniers ont permis le sauvetage de 93 emplois. Même si un des derniers bastions du made in France délocalise en Tunisie. Dans cette réussite, 3 acteurs ont joué : les intrépides employés de l’usine d’Yssingeaux, les politiques et les médias. Ce sont eux qui sont la clé de voûte de cette victoire. Car, sans eux, qui aurait relayé le message des salariés, et leur aurait permis de se faire entendre ? Et qui aurait permis aux personnalités politiques de faire de cette « affaire Lejaby » un enjeu de la présidentielle en diffusant largement leur parole ? Les médias ont eu sans conteste un rôle décisif dans ce sauvetage. Cependant, on ne peut amoindrir la part importante jouée par les hommes politiques et la lutte des employés dans ce dossier. Ce sauvetage est donc clairement tripartite : politique, médiatique et héroïque. Ou, si on veut en attribuer tout le mérite aux seuls travailleurs (ce qui pourrait s’avérer légitime), on peut dire que les Lejaby ont fait usage, pour sauver leurs postes, d’un excellent plan de communication !
 
Julie Escurignan
Crédits photo : ©Lejaby
Sources :
Libelyon.fr
LesEchos.fr
LeParisien.fr

Signe de ralliement du PS pour les présidentielles 2012 fait par Jack Lang
Flops

Des ninjas au PS

La communication tient aujourd’hui un rôle majeur en politique, peut-être souvent, et malheureusement, le rôle le plus important. Nous sommes, depuis maintenant un certain temps, les spectateurs béats du combat pour la terre, non pas du Milieu, mais de l’Elysée. De ce fait, faire campagne revient aujourd’hui à prendre les armes, à entrer en guerre contre différents adversaires pour conquérir différents publics. Mais aujourd’hui comme tout le monde le sait, l’homme politicien se bat en grande majorité via les médias, de toutes les formes possibles. Il tire la lance face aux micros, croise le fer avec les caméras, luttant corps et âme pour répondre aux questions, aux réactions et aux attaques des opposants et des commentateurs. Plus rien n’est laissé au hasard. Pas le moindre geste, la moindre réflexion, le moindre lapsus.
Cette année 2012 va donc voir s’affronter jusqu’au mois d’avril les principaux prétendants à la présidence et leurs armées respectives sur le grand champs de bataille médiatique, semé d’embûches.
Ceci est l’histoire de l’échec d’un cri de guerre raté qui pourrait s’avérer dérangeant  dans ce contexte politique sanglant.
En tête des sondages, le candidat socialiste à la présidentielle, François Hollande, est clairement rentré en campagne ces dernières semaines. Et quelle entrée ! S’il n’y a rien à redire quant à la communication « personnelle » de l’homme qui peu à peu se métamorphose, passant de simple candidat à personne sérieusement présidentiable, le problème vient du slogan et surtout de l’illustration médiatique de ce dernier, véritable fiasco sur le net que je vous invite (peut être une fois de plus) à regarder.

Cette vidéo, circulant partout sur la toile depuis bientôt deux semaines, est l’objet de nombre de critiques, attaques et moqueries. Il faut en effet admettre en toute objectivité qu’il ne s’agit pas d’une grande réussite visuelle et symbolique. Le slogan en lui-même peut laisser certains d’entre nous dubitatifs. Confectionné à la perfection sous contrôle de l’équipe de communication du candidat dirigée par Manuel Valls, cet octosyllabe scindé en deux hémistiches également rythmés (1 pied, 3 pieds) véhicule tout l’enthousiasme, l’envie et peut-être la naïveté présente dans le projet socialiste. Loin de l’éternelle « Force tranquille » de Tonton, il rallie à la fois la part d’utopie présente dans le « rêve français » – notion chère au candidat (cf interview dans le Cabinet des curiosités) –  ainsi qu’une impression déjà très critiquée de déjà vu, du fait de sa ressemblance chiraquienne (« Ensemble maintenant ») et de son héritage mitterrandien (« Ici et maintenant »).
Las Ketchup revival
L’idée d’ajouter au slogan une dimension symbolique en lui assignant un geste, était donc risquée. Elle s’est avérée désastreuse.
Yann Barthès a reçu dans son Petit Journal du mercredi 25 Janvier, Vincent Feltesse responsable de la campagne numérique du candidat socialiste. Ce dernier a défendu l’idée de « blague au sein de l’équipe numérique » en mettant en avant toute « l’autodérision » du projet. Sauf que voilà l’autodérision est très vite capable de se transformer  en énorme flop. Si l’on regarde d’un peu plus près la vidéo, on voit que le geste de double coupure n’est pas réalisé de la même manière par tous les candidats. Il y a ceux qui le fond de l’extérieur vers l’intérieur (Jack Lang, Manuel Valls) symbolisant l’idée de coupure radicale dans le rassemblement, ceux qui partent de l’intérieur et décalent leurs mains vers l’extérieur pour faire table rase du passé (Pierre Moscovici). Et, c’est bien là le plus drôle, ceux qui font des vas-et-viens entre les deux positions, peut-être pour montrer que c’est quand même assez dur de couper le cordon. Nous rentrons alors là dans la catastrophe visuelle, surtout quand on voit deux personnes sur le même plan faire deux gestes complètement différents. Comment ne pas penser à Las Ketchup et leur chorégraphie qui fit danser un temps, la France entière, ou encore pour les puristes à la position des Power Rangers avant de se battre ? Une nouvelle image ninja pour le parti socialiste ?
Si le ridicule ne tue pas, il peut décrédibiliser. Quand on sait que l’UMP a racheté le nom de domaine du site relié au slogan de François Hollande pour y publier un faux programme critiquant le projet socialiste, on se dit que le candidat du changement aurait sans doute autre chose à faire que d’essuyer les facéties et maladresses de son équipe de communication.
Ne pas encore se tirer une balle dans le pied : tel est sans doute l’objectif premier des socialistes dans cette campagne bien assez violente.
 
Ambroise

Couverture du livre de Jacques Séguéla, Le pouvoir dans la peau, paru en octobre 2011
Politique, Société

L’homme politique se doit d’être l’asymétrique

On se sent de plus en plus citoyen à mesure que les dimanches de vote approchent. On écoute les propositions des candidats et au passage, on regarde comment ces gens se montrent. A ce propos, je vous recommande la lecture du dernier livre de Jacques Séguéla, le publicitaire de la « force tranquille ». D’abord parce que c’est assez amusant de voir comment on peut parler en slogans, c’est-à-dire en mettant des allitérations et des formules chocs à tous les coins de pages et ensuite parce qu’on y trouve des jolies perspectives communicationnelles.
« Gauche droite, tous pareils ! … », On a tous déjà entendu ça. Quoi qu’il en soit, dans le domaine de la com’ politique Séguéla transpose ce constat en écrivant que « Tous les candidats se ressemblent, mêmes complets gris, bleus ou noirs, mêmes tics, mêmes phrases, mêmes pensées, triste reflet de l’uniformité humaine. » (p. 97). Cruel constat. Plus tôt, il a cette formule surprenante au premier abord « Les mots porteurs ont une durée de vie que la surmédiatisation abrège. Hier, les slogans duraient des siècles : « Liberté, Egalité, Fraternité ». Aujourd’hui, ils survivent le temps d’une campagne, et encore ! » (p. 93).
Ces passages résument une grande partie de ce que l’on voit aujourd’hui dans les médias. Les candidats cherchent à créer l’asymétrie pour  être vus, reconnus et sortir du lot aux yeux des électeurs.
Rapide revue loin d’être exhaustive des asymétries possibles :
On peut décider de parler avec un accent et des lunettes caractéristiques (Eva Joly), avec des allures d’orateur charismatique et bourru surmontées d’une dose de mépris pour les journalistes (Jean-Luc Mélenchon) sur Twitter (Nadine Morano), depuis sa cuisine (Hervé Morin) ou en flirtant avec la xénophobie (Marine le Pen).
On peut aussi proposer de nouveaux mots. Sans parler de la « bravitude », en 2007, Ségolène Royal revendiquait son « Désir d’avenir ». Le mot « désir » n’avait jusque là jamais été utilisé en politique et connote quelque chose de vraiment impliquant, presque animal.
François Hollande opte d’abord pour l’image sage et réfléchie face aux attaques déstabilisantes de Martine Aubry lors des primaires socialistes. Le candidat veut aussi montrer qu’il incarnerait une Présidence plus rationnelle que celle qu’il dénonce aujourd’hui en exhibant sa simplicité. Le plus urgent pour lui est de prouver qu’il a du caractère pour sortir de cette mollesse qu’on lui reproche (notamment avec le discours du Bourget du 22/01/2012).
Créer l’asymétrie pour sortir du lot, c’est-à-dire exister aux dépens des autres. Cela implique donc d’interpeler et de discréditer les autres… Tous le tentent (ou presque) via les petites phrases pour déstabiliser et critiquer par médias interposés. Pourtant, c’est sans doute un débat de fond qu’il faudrait à la France. D’ailleurs, laissons les derniers mots à Séguéla. Après avoir parlé de cruauté et de calomnie : « De quoi dégoûter les Français. Dans ce carnage médiatique, la surprise pourrait bien venir de celle ou celui qui saura incarner une France digne. » (p. 134)
 
Thomas MILLARD
Crédits photo et source : Le pouvoir dans la peau, Jacques Séguéla, octobre 2011

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Hollande interviewé par des journalistes
Société

Vers la fin du off ?

Début d’année, reprise de la campagne présidentielle – qui s’était un peu arrêtée avec la magie des fêtes – et comme d’habitude, cela ne commence pas par le meilleur. Le Parisien publie des propos attribués à François Hollande où celui-ci se met dans la peau de Nicolas Sarkozy : «Je suis le Président de l’échec, je suis un sale mec, mais dans cette période difficile, je suis le seul capable, j’ai le courage…». Cette déclaration, tenue en off, avait elle vocation à se retrouver dans la presse ?
De plus en plus malmené par les nouvelles technologies et les nouvelles formes de journalisme, le « off » est il encore une réalité ?
Si le « off » a été créé, c’est qu’il servait des intérêts. Dans le principe, il est une protection pour les hommes politiques, qui peuvent de temps en temps s’exprimer librement (ce qui sous-entend bien que ce n’est pas toujours ce qu’ils font quand ils sont interviewés de manière classique). Ainsi que pour les journalistes qui obtiennent des informations -qui même si elles ne sont pas publiables – apportent un ton à l’article et une relation de confiance souvent utile.
Le « off » inciterait donc au journalisme connivent, non critique, facile. En ce sens, les journalistes sont les premiers à défendre la publication du off dans leurs articles. C’est le cas de Maurice Szafran, dans l’introduction de son livre « OFF : Ce que Nicolas Sarkozy n’aurait jamais dû nous dire », qui écrit « le journalisme neutre, faussement objectif, nous fait mourir ». La publication du « off » serait l’anecdote, la petite information qui apporterait la touche finale à un article peu dynamique. Cette vision du journalisme à l’anglo-saxonne prône la transparence totale : « un président ou un candidat à la présidence n’a pas de vie privée » avait dit Bob Woodward (il fût à l’origine du scandale du Watergate).
Dans cette manière de penser le « off », on comprend bien que celui-ci serait toujours involontaire de la part du politique. C’est une pensée naïve. Cependant, il est sûr qu’au fur et à mesure que le « off » disparaît, les hommes politiques s’adaptent. C’est donc un nouveau canal de communication, avec un contrat à part qui s’est institué : « je te raconte quelque chose que tu vas publier comme si tu n’avais pas le droit de le faire ». Là, ce n’est plus les politiques ni les journalistes qui sont bernés mais bien les lecteurs. F. Hollande voulait-il se donner une nouvelle image plus combative en traitant N. Sarkozy de « sale mec » ? Ou tentait-il juste un trait d’humour pour construire une connivence plus forte avec les journalistes présents ? Difficile à savoir…
En soi, la question du on/off est en passe d’être tranchée : la frontière entre les deux a disparu. C’est la conséquence logique d’une société où les petites phrases en politique font bien plus vendre que les grands projets de société.
 
Ludivine Preneron
 
Crédits photo :
©Sophie Levy

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