Flops

L'euroscepticisme à l'heure du selfie

 
Le 23 septembre dernier, après avoir fait peau neuve, le billet de 10€ est mis en circulation. Afin d’en assurer la promotion, la Banque Centrale Européenne (BCE) lance une campagne sur les réseaux sociaux. Elle invite les internautes à se prendre en photo avec cette nouvelle coupure. Les changements apportés sont minimes : une couleur qui tend davantage vers le orange et une matière plus résistante sont les seules nouveautés à signaler. Rien de bien révolutionnaire, en somme. Rien qui puisse expliquer le déchaînement des internautes et la manière dont Twitter et Instagram se sont enflammés. Pire, la BCE n’a pas su mobiliser les foules et a essuyé un échec cuisant ; le hashtag créé : #mynew10 n’a été repris que 1600 fois. A l’échelle européenne, c’est une catastrophe et un désaveu explicite. Néanmoins, ce drame communicationnel aurait pu être évité.
Une campagne marketing qui prend l’eau
Alors oui, il y a bien quelques personnes, quelques irréductibles Européens, qui ont pris l’initiative au sérieux, certainement attirées par la possibilité de remporter un des 5 iPads mis en jeu. Elles restent malgré tout marginales.

Ce jeu anodin à l’allure lisse a surtout permis de mettre en exergue le ressentiment des Européens à l’égard de leurs institutions. La BCE a sans doute vu dans cette opération le moyen de se moderniser, de toucher un public plus large et plus jeune. Elle désirait certainement surfer sur le succès des autres défis mettant à profit les internautes comme l’Ice Bucket Challenge qui permet de lever des fonds pour lutter contre la maladie de Charcot. Mais, cette attitude frivole dénote particulièrement dans le contexte économique ambiant et le moins que l’on puisse dire c’est que les Européens ne se sont pas privés pour le faire savoir à Mario Draghi. Les réactions sont souvent violentes : on se rappelle tous du geste contestataire de Gainsbourg qui brula un billet de 500 Francs à la télévision pour signifier ce qui lui restait après avoir payé ses impôts. Il semblerait qu’il ait suscité des vocations, certaines personnes se photographiant un billet en feu dans les mains.

L’Europe et ses institutions dans le collimateur des internautes
Les difficultés économiques sont réelles, les prix augmentent, les taux de chômage ne se résorbent pas et même si des pays comme la Grèce, l’Espagne ou encore l’Irlande sont plus touchés que d’autres, aucun n’est vraiment épargné. Difficile d’imaginer, dans ce contexte d’austérité généralisée, que les citoyens se prêtent docilement au jeu du petit selfie demandé par la BCE. Il était évident que les eurosceptiques, anti-européens et autres trolls profiteraient de cette estrade en or pour condamner son action et remettre en cause l’Union européenne. On pense à cette femme qui exhibe son porte-monnaie vide au lieu du billet exigé, ou cet internaute qui symbolise la baisse de son pouvoir d’achat : avec 10€ il ne peut se payer qu’un paquet de cigarettes et un demi. L’euroscepticisme est de plus en plus prégnant et de nombreux partis défavorables à l’Europe siègent au Parlement : c’est le cas de l’United Kingdom Independence Party et du Front National. L’un de leurs leitmotivs concerne l’abandon de la monnaie commune, l’Euro, et le retour à la monnaie nationale. C’est d’ailleurs ce qu’ont semblé demander certains internautes.

Europe, une princesse fédératrice ?
Et pourtant, ce nouveau billet symbolisait la volonté prononcée de la BCE de ne créer aucune polémique et même plus, de rassembler les Européens. En effet, vous l’aurez remarqué, les coupures sont désincarnées au sens où aucun illustre personnage n’est représenté. Cela contraste fortement avec les dollars américains où des figures tutélaires (Pères Fondateurs et Présidents) apparaissent. La BCE ne veut pas de « querelles de clochers entre Etats » (Libération) et opte pour un habillage plus neutre, moins identifiable, moins conflictuel : des constructions architecturales. Sur ces nouveaux billets de 10€, un visage apparaît, celui de la princesse Europe, celle-là même qui donne son nom au continent. L’appel du pied pour un sentiment d’appartenance partagé, pour une cohésion ne pouvait être plus explicite. Mais de fait, ce clin d’œil fédérateur en devient presque grossier. Il n’aura pas empêché la polémique d’enfler sur les réseaux sociaux.

Notons, pour finir, que la BCE s’est installée le 29 novembre dans ses nouveaux bureaux : une tour flambant neuve en plein cœur de Francfort. Selon Le Figaro, ce nouveau siège de la Banque Centrale est, de toutes les institutions, le plus spectaculaire. C’est aussi celui qui aura coûté le plus cher. Les bureaux auront vu le jour pour la somme d’1,2 milliard d’Euro (comme ils paraissent loin les 850 millions d’Euro initialement prévus !). Ces dépenses, que certains jugent déjà superflues, ne font que renforcer le sentiment de défiance à l’égard de l’Union Européenne.
La polémique aura néanmoins assuré la communication du lancement de ce nouveau billet, même s’il est difficile d’envisager pire publicité. Outre la crise et le climat austère qui règne actuellement, cette campagne a eu le mérite de mettre au jour l’humour que partagent les Européens ainsi que leur imagination débordante.
Jules Pouriel
Sources :
lesechos.fr (1)
lesechos.fr (2)
liberation.fr
lefigaro.fr
Crédits photos :
lci.tf1.fr

BrigitteBardot
Agora, Com & Société

Que reste-t-il de nos amours ?

 
« Et mes fesses, tu les aimes mes fesses ? » demande ingénument Brigitte Bardot à Michel Piccoli dans Le Mépris. Et si une telle question, accompagnée de son rendu visuel, se voyait détournée de son innocence aguichante pour servir des élans revanchards ? Tel est le cas aujourd’hui avec la nouvelle tendance qui sème la panique sur la toile : le Revenge Porn ou porno vengeur.
La cybervengeance : une vendetta 2.0
Le Revenge Porn consiste à se venger d’un amour déçu en publiant des photos en petite tenue – voire carrément sans tenue – de son ex sur les réseaux sociaux. Le phénomène concerne surtout les femmes qui voient leurs « preuves d’amour », impunément photographiées, détournées de leur sens premier qui était d’exciter leurs partenaires.
Les hommes trouvent désormais leur place sur le banc des accusés, de même que les mineurs : le Revenge Porn défie l’ensemble de la société qui riposte aujourd’hui avec des mesures judiciaires. Certains états des Etats-Unis ont déjà légiféré sur cette pratique considérée comme une infraction sexuelle. En France, les condamnations s’enchaînent sans donner lieu à une loi précise mais cela ne saurait tarder.
On doit la naissance de cette nouvelle pratique à Hunter Moore reconnu par Rolling Stone comme « l’homme le plus détesté d’internet » pour avoir créé le tout premier site de Revenge Porn : isanyoneup.com. Le site, alors entré dans des logiques marchandes, rémunère grassement son propriétaire et a donné naissance à une prolifération de sites similaires : le Revenge Porn est partout.

Réseau mon beau réseau, dis-moi qui est la plus humiliée ?
Ce nouveau phénomène nous dit beaucoup de choses quant aux nouveaux rôles que peuvent jouer les réseaux sociaux aujourd’hui. Tout d’abord, ils servent l’instrumentalisation de la rupture et permettent de toucher fortement un public : le Revenge Porn ne serait rien sans une réception véhémente. Ici les hommes délaissés de leurs compagnes communient autour de la répulsion, la haine et le rejet. Le but premier de tout Revenge Porn qui se respecte est d’exhiber, en plus d’une anatomie, un profil et ainsi d’inciter toute une communauté à rejeter l’identité dudit profil, à le mettre au ban des réseaux et a fortiori de la société et ce de façon violente. Les commentaires qui complètent la publication de la photo sont là pour insulter et révéler des informations personnelles (métier, adresse, nationalité par exemple) de la personne exhibée, donnée en pâture et sujette à l’opprobre.

Les réseaux sociaux seraient donc devenus un moyen de créer une double communauté qui s’articule autour d’une logique clivante : les inclus d’un côté et les exclus de l’autre. Les inclus : la communauté punitive composée de juges sentencieux qui imposent leurs propres lois. Les exclues : les femmes qui doivent répondre de leurs actes en subissant les revers d’un érotisme jadis amoureux.
Les réseaux sociaux servent ce « slut shaming », (« l’humiliation des salopes »), cette tendance hautement répressive qui s’acharne sur un individu jusqu’à en faire un bouc émissaire. Si on se penche sur l’origine biblique de cette expression, le bouc fût cet animal chargé d’expier tous les péchés dont on le charge afin d’en dépourvoir les hommes. S’acharner sur un individu afin de créer du lien, de rapprocher les hommes entre eux et de les soulager de leurs fautes. Faut-il voir le Revenge Porn comme l’actualisation d’un vieux mythe biblique ?
Le Revenge Porn ou la face cachée de la délation
Il y aurait donc, à travers le Revenge Porn, une instrumentalisation du corps : on utilise des photos de corps pour dénoncer une identité que l’on veut désigner comme corrompue. Le corps n’est donc pas mis en scène de la même manière que dans les publicités ou les magazines qui s’évertuent à le montrer comme objet désirable, idéal et idéel. Avec le Revenge Porn au contraire, on consomme le corps dans sa crudité matérielle et celui-ci sert seulement de moyen pour sacrifier la personne qu’il représente et inciter au rejet. Il n’est donc plus le lieu de l’investissement fantasmatique mais il devient le signe d’une personne dépravée, et le lieu d’un investissement tout particulier : celui de la liquidation de la personne que le corps matérialise.
De même qu’il interroge le rapport au corps, le Revenge Porn questionne le rapport à l’intime. Il semble ici que le privé déborde sur le public mais de manière imposée. Le Revenge Porn oblige l’intime à passer la rampe et à se déverser dans ce qu’il y a de plus public et de plus ouvert au monde : les réseaux. Le corps, la nudité, l’érotisme sont les dignes représentants de l’intimité d’une personne qui sont ici ouvertement et publiquement dénoncés.
Avec le Revenge Porn, il y a certes volonté de vengeance mais surtout volonté de rendre cette vengeance publique. On ne peut s’empêcher de penser à l’essai autobiographique de Valérie Trierweiler, Merci pour ce moment comme d’une forme certes atténuée du Revenge Porn, mais tout aussi violente parce-qu’il repose sur le principe même qu’est la dénonciation d’un intime que l’on souhaite rendre public afin d’en montrer l’abjection. A méditer.
Jeanne Canus-Lacoste
 
Sources :
 
fredericjoignot.blogspirit.com
konbini.com
lesinrocks.com
europe1.com
lenoubelobservateur.com
 
Crédits images :
 
brigittebardot.canalblog.com
stevenkowalskiphotography.com
zdnet.com/
europe1.fr

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hajjselfieharam
Com & Société

Le Hajj 2014 à la mode selfie

 
*haram : péché
Cet automne, le Hajj, rassemblement annuel à La Mecque, pèlerinage que tout bon musulman doit faire au moins une fois dans sa vie, est devenu l’un des événements les plus retweetés sur les réseaux sociaux. Si d’ordinaire cette cérémonie massive pour la communauté musulmane ne fait pas l’objet d’un grand rendez-vous médiatique c’est qu’aucune caméra professionnelle n’est autorisée à l’entrée des lieux. Pourtant, cette année, le Hajj s’est rendu très visible sur Internet.
Les appareils photos ainsi que les caméscopes ont toujours été interdits dans les lieux saints, que ce soit pour un usage professionnel – couvrir médiatiquement le 5ème pilier de l’Islam – ou pour un usage personnel – figer dans le temps une expérience fondamentale pour sa foi. Les téléphones portables aussi y étaient interdits afin de ne pas troubler le recueillement des pèlerins. Mais depuis quelques temps cette restriction n’a plus cours pour des raisons de sécurité, afin que chacun soit en mesure d’appeler les secours pour un problème de santé personnel, ou celui d’un tiers. Or, l’évolution ne vous aura pas échappé, de nos jours les téléphones portables font beaucoup plus que téléphoner. Entre autres, ils prennent des photos et sont même capables de filmer. Et c’est ainsi que la mode du selfie est subrepticement entrée dans les lieux de culte de l’Islam au grand dam de certains pèlerins et ulémas (théologiens, garants de la tradition musulmane, hommes de référence pour l’interprétation de la loi coranique).
Le selfie comme insulte au hajj
Pour ces derniers, prendre des photos de soi est un acte fondamentalement narcissique et irrespectueux envers la religion. Pour défendre cette position, le savant Cheikh Abdul Razzaq Al-Badr cite le Prophète qui lors de son premier pèlerinage implorait « Oh Allah, je te demande un Hajj démuni de toute vanité et ostentation. » Mais il n’est pas le seul à penser cela ; du haut de ses 27 ans, Zahra Mohammed, professeur de Sciences islamiques à Riyadh témoigne « A Médine, j’ai remarqué une famille, face au soleil, levant les mains comme s’ils faisaient une invocation (doua). Je ne comprenais pas ce qu’ils faisaient, jusqu’à ce que je vois qu’une personne en face d’eux était en train de les prendre en photo. J’ai vu des pèlerins au Masjid al-Haram (la Mosquée sacrée) prendre des photos d’eux avec la Kaaba en arrière-plan (cube au coeur de la mosquée abritant la Pierre Noire) pour ensuite les publier sur Facebook, transformant leur adoration (ibadah) en événement social. »
Pour toutes ces personnes, le Hajj est un dépassement de soi dans lequel la prise de selfies n’apporte rien. Au contraire, comme Zahra Mohammed, ils voient dans cette attitude une glorification de soi : en se prenant en photo en attitude d’humilité, ces musulmans seraient en réalité en train de s’en vanter. Ce comportement est également qualifié de touristique, comme si le but ultime de ces musulmans étaient de prendre des photos de leur pèlerinage au lieu de le faire et de s’adonner à leur culte. En définitive, la prise de selfie est condamnée pour la distraction qu’elle apporte sur les lieux saints – ceux qui prennent des selfies ne prient pas pendant ce temps-là mais aussi dérangent les autres dans leur prière.
Le hajj dans un monde en mouvement
Toutefois, les adeptes du #hajjselfie, tag utilisé sur Twitter, Facebook et Instagram pour référencer leurs photos, ne se voient comme tels. Selon eux, leurs pratiques ne remettent en rien la spiritualité de leur pèlerinage. Ali Mohammed Ali a 24 ans, est Koweitien, porte une barbe et est vêtu de manière décontractée avec un pantalon de survêtement et une paire de sandales. « Comme c’est mon premier Hajj il est important d’enregistrer ce qui se passe autour de moi. Partout où je vais je prends des photos. » Derrière ses 65 ans, son père pourrait faire partie de la branche anti-hajjselfie, mais ce n’est pas le cas : « Ceux qui prennent ces photos immortalisent un événement rare, une expérience unique dans la vie d’un musulman. »
Pour Amar Lasfar, recteur de la mosquée Lille-Sud et président de l’Union des organisations islamiques de France : « On ne peut pas échapper à certaines choses. Les pèlerins veulent immortaliser et partager leur joie. » Il va même jusqu’à considérer que le voyage à la Mecque « c’est aussi du tourisme. On peut avoir en tête l’esprit du pèlerinage tout en étant un petit peu cool. » Il est également bon de rappeler que pour Pamela Rutledge, responsable du Media Psychology Research Center à la Fielding Graduate University, les selfies servent à créer un sentiment d’appartenance, ils créent une communauté, comme l’illustre très bien Mehmet Dawoud est étudiant turc : « Je fais un selfie avec la Kaaba en arrière-plan pour le diffuser sur mon profil Facebook afin que ma famille et mes amis puissent me voir. C’est comme ça qu’on communique aujourd’hui, pas besoin de téléphoner. »
Combattre son ennemi sur son propre terrain
Toutefois, être réfractaire au hajjselfie n’est pas systématiquement le signe d’un Islam rétrograde et éloigné des évolutions sociales. En effet, beaucoup de conservateurs se sont approprié le hashtag #hajjselfie sur les réseaux sociaux pour l’accoler à leurs messages réfractaires, contrecarrant ainsi son référencement. Tandis que le blog Muslim Matters a ouvert un débat sur Twitter sur la légitimité de telles photos.
L’image a toujours posé problème au sein de la religion islamique. Mais dans le cas des selfies, le problème est beaucoup plus la diffusion d’une image que sa production. Par définition un selfie n’est pas destiné à un usage personnel, mais à un usage social, il est fait pour être partagé, et en ce sens le pèlerin se montre. Ainsi une partie des musulmans jugent cet acte narcissique et contradictoire avec la démarche d’humilité et de tranquilité qu’imposent les actes d’adoration propres au Hajj. Pour eux, cela relève d’un comportement de touriste et non de croyant. Affaire à suivre pour le Hajj 2015…

 
Marie Mougin
@MelleMgn
 
Sources – Pour aller plus loin
Comment le #hajjselfie fait office de journalisme citoyen ?
BBC NEWS hajj selfie craze bemuses Islamic clerics
THE TELEGRAPH hajj selfies cause controversy among conservative muslims
HUFFPOST infamous hajj selfie is one more thing transforming mecca, and not everyone is happy about it
QUARTZ selfie fever is taking the hajj by storm
CBC NEWS the hajj selfie craze that never was
L’OBS la mecque : populaire au hajj, le selfie irrite les conservateurs
L’EXPRESS selfies à la mecque : cela pourrait me détourner de mon objectif
FRANCE 24 le selfie du pèlerin est-il haram ?
REUTERS la mode des selfies n’épargne pas le pèlerinage de la mecque
HUFFPOST MAGHREB le #hajjselfie la nouvelle mode pèlerinage de la mecque
TELQUEL à la mecque, les pèlerins aiment le selfie, les religieux condamnent
INFO HALAL le selfie à la mecque suscite l’indignation
MEJLISS les selfies au hajj font polémique cette année
Crédits
Twitter, Facebook, Instagram

je suis passé chez sosh
Société

« Je suis passé chez Sosh » : quand la communauté fait vendre

 
C’est un bien étrange casting que l’opérateur de téléphonie mobile met en scène dans sa nouvelle campagne, lancée il y a quelques semaines. En effet, on peut y voir (ou y entendre, la publicité se déclinant également à la radio) des clients de la marque tenter vainement d’articuler le virelangue « je suis passé chez Sosh », entre deux éclats de rire. Les petites scènettes s’enchainent, mettant en avant des clients de tous âges, de toutes nationalités et de tous sexes. Les participants croient participer à un vrai casting, et se retrouvent mis en difficulté au moment de prononcer cette phrase. Tout cela donne des scènes que les réalisateurs affirment « spontanées » et « naturelles ». Cette publicité, qui ressemble finalement plutôt à un bêtisier invitant le spectateur à rire avec les protagonistes, se termine d’ailleurs par un jeu de mots percutant : « Passer chez Sosh, c’est plus facile à faire qu’à dire ».

 
Au-delà de l’aspect comique et engageant de cette publicité, on peut analyser la volonté affichée de Sosh de mettre en avant sa communauté, et de la consolider en donnant envie de la rejoindre à ceux qui n’en font pas encore partie. En effet, tous les figurants sont également clients chez Sosh dans la réalité : le simple fait qu’ils aient accepté de se prêter au jeu (et avec bonne humeur s’il vous plait) est déjà un argument pour l’opérateur, qui prouve ainsi à quel point ses clients sont satisfaits et au-delà, investis dans la marque. Car le but ici, c’est bien de montrer qu’en s’engageant chez Sosh, il ne s’agit plus seulement de signer un contrat par téléphones interposés avec un opérateur dont on ne connait que le nom, et de craindre d’avoir affaire aux longues minutes d’attente d’un service après-vente déshumanisé. Ce que promet l’opérateur au client qui fait la démarche de le rejoindre, c’est de l’accueillir, presque de l’accepter au sein de cette grande communauté solidaire et joyeuse qu’il met en scène dans cette campagne. La phrase «Il y a plein de bonnes raisons de passer chez Sosh, et c’est vous qui le dites » est d’ailleurs une parfaite illustration de la stratégie mise en œuvre: la marque n’a même plus à vanter ses mérites, puisque les clients le font eux-mêmes. Dans un marché ultra concurrentiel, Sosh a donc décidé de se démarquer, en ne jouant plus sur les prix, mais sur la communauté.

Car Sosh, c’est avant tout la réponse de l’opérateur historique Orange à l’attaque du challenger Free Mobile. En proposant des prix défiant toute concurrence, celui que l’on qualifie souvent de « quatrième opérateur » a ainsi tout misé dès le départ sur l’argumentaire du prix. Et avec quelques années de recul, il semble possible d’affirmer sans trop s’avancer que Free reste imbattable dans ce domaine, malgré les efforts des autres opérateurs pour s’aligner. Il fallait donc trouver une autre manière d’attirer des clients, et Sosh a choisi le fun, le décalé, bref, de se présenter comme une marque accessible et « amie » des consommateurs. La charte graphique utilisée en est déjà un indice, avec des couleurs pétillantes et des caractères ronds et épais. Les anciennes campagnes avaient déjà posé les jalons de cette stratégie communicationnelle : on peut penser notamment au « social rush », une initiative de Sosh mêlant téléréalité et médias. Les internautes étaient invités à voter pour leur candidat préféré sur les réseaux sociaux, et à la fin de la campagne, un prime time avait été organisé (en partenariat avec Direct Star) au cours duquel les candidats sélectionnés par les votants devaient réaliser des défis. Tout cela a permis à la marque de se constituer une véritable communauté, qu’elle met désormais clairement en avant comme un argument de vente.

Tous les ingrédients étaient donc réunis pour lancer une campagne comme celle que nous analysons ici. Mélangeant subtilement une pointe de storytelling (elle s’inspirerait d’une private joke qui se serait diffusée dans les bureaux de Sosh) à un peu de la tendance des vidéos sur internet (avec un making of dans lequel les réalisateurs du spot avouent eux-mêmes avoir eu du mal à prononcer cette phrase, tout en échangeant des blagues complices avec les participants), elle utilise tous les procédés efficaces pour construire une véritable symbolique autour de Sosh. On notera d’ailleurs que l’opérateur a un onglet spécial « communauté » sur son site internet, en plus du traditionnel espace client. Chaque abonné peut ainsi se créer un « profil communautaire » qui lui permettra d’interagir avec les autres clients, du simple conseil à la discussion plus personnelle. A l’ère des réseaux sociaux et de l’émergence des communautés dans tous les domaines, Sosh ancre donc sa stratégie de communication dans une tendance plus qu’actuelle. Des questions demeurent cependant: entre les promesses d’une campagne de publicité et la réalité de la complicité entre un individu et une marque, quelle distance demeure ? Et surtout, en intégrant les sentiments dans la relation vendeurs/clients, le risque n’est-il pas d’altérer l’esprit critique de ces derniers ? Voilà les problématiques profondes sur lesquelles cette campagne semble nous inciter à méditer.
Sarah Revelen
Sources:
La réclame
Sosh
Il était une pub
Crédits photo :
La réclame
La réclame
Mode-digital.fr

UBER FNC
Société

Les scandales peuvent-ils freiner Uber ?

 
Après moins de six ans d’existence, Uber est valorisée à plus de 30 milliards d’euros et opère dans 50 pays et plus de 250 villes. L’entreprise de transport de personnes, qui fait concurrence aux taxis en proposant notamment à des chauffeurs non-professionnels de conduire des particuliers, utilise des technologies récentes (paiement par Internet, géolocalisation) pour moderniser un marché très régulé. Mais ce n’est pas son succès fulgurant qui attire le plus l’attention des médias depuis quelques mois. Les méthodes de l’entreprise sont fréquemment critiquées, aussi bien par ses concurrents que par les pouvoirs publics et ses propres chauffeurs. Citons seulement les accusations d’espionnage des utilisateurs, de concurrence déloyale, de non-respect des lois sur le transport de personnes : la croissance d’Uber ne se fait pas sans heurts.

Une communication défaillante
Uber, en quête de respectabilité, tente d’améliorer son image. Mais l’entreprise est au cœur d’une nouvelle controverse. Le 18 novembre dernier, un des vice-présidents de l’entreprise, Emil Michael, a suggéré d’engager une équipe de relations publiques ayant pour but spécifique de décrédibiliser des journalistes perçus comme trop hostiles. Un journaliste de Buzzfeed a entendu ces propos (censés être tenus en off, au cours d’un dîner) et les a publiés ; ils ont ensuite été relayés par la presse en ligne et traditionnelle.
Un détail a cependant pu échapper aux observateurs : le président exécutif de Buzzfeed est également un investisseur de Sidecar, l’un des principaux concurrents d’Uber. Ce fait, de nature à provoquer un conflit d’intérêts dans la couverture effectuée par Buzzfeed, n’a pourtant pas été soulevé par l’entreprise. La gestion de cette crise par le PDG d’Uber, Travis Kalanick, a d’ailleurs été assez malhabile : il a publié pas moins de 13 tweets pour s’excuser, la forme du message correspondant mal au réseau social employé.

Une croissance envers et contre tout ?
La multiplication des scandales ne semble pas, pour l’instant, entraver la croissance d’Uber, dont le service est suffisamment performant pour continuer à attirer conducteurs et utilisateurs. Il semblerait donc que, forte de sa capacité à innover, l’entreprise puisse faire passer la communication au second plan de ses priorités.
Pour autant, il est surprenant d’observer à quel point la couverture médiatique d’Uber est critique. Sa décision de ne pas utiliser la publicité dans sa stratégie de communication n’est peut-être pas tout à fait étrangère à cette hostilité : l’entreprise ne peut pas agiter la menace d’un retrait de ses opérations publicitaires, comme l’a fait Bernard Arnault après la Une controversée de Libération à son sujet en 2012. Compter seulement sur le bouche-à-oreille et les réseaux sociaux -une stratégie qui s’est par ailleurs révélée d’une efficacité redoutable- prive ainsi Uber d’un levier d’influence.
La mauvaise réputation de l’entreprise est également susceptible de nuire à sa capacité d’action auprès des pouvoirs publics. En effet, Uber rencontre une opposition législative presque dans chaque pays où il souhaite s’implanter et a besoin du soutien de ses utilisateurs pour convaincre les élus de modifier les lois, le cas échéant en luttant contre le lobby des taxis. Une mauvaise presse risque dans ces conditions de faire pencher la balance du mauvais côté.
Cette controverse met enfin en lumière l’intrication et l’interdépendance des acteurs économiques de la Silicon Valley : la plupart des entreprises prometteuses sont soutenues par des fonds de capital-risque, dont les dirigeants se trouvent parfois en situation de conflit d’intérêts : ainsi de Peter Thiel , célèbre investisseur, qui déclare sur CNN qu’Uber est l’entreprise à l’éthique la plus douteuse de la Silicon Valley… avant de révéler qu’il a lui aussi investi dans un de ses concurrents.
Emmanuel Bommelaer
Sources:
Buzzfeed.com
Businessweek.com
Thefederalist.com
Usatoday.com
Growthhackers.com
Crédits images:
Twitter.com
Blog.uber.com

face à la bande logo
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Face à la bande : le défi de France 2

 
Top ! Nouveau jeu de culture générale créé le 28 juillet 2014, je suis diffusé quotidiennement sur France 2… Production originale de la Grosse équipe je suis présenté par Jérémy Michalak… Me plaçant dans l’horaire pré-access, mon objectif est d’obtenir une moyenne d’audience d’environ 10%… Objectif jusqu’à présent non atteint… Je suis-je suis ?

Face à la bande.
Un concept réellement innovant ?
Vous l’avez compris, Face à la bande est le dernier jeu de culture générale de France 2 ayant comme principal objectif de redonner des couleurs à la case horaire de pre-access, une case qui a connu bien des difficultés avec ses programmes précédents comme On n’demande qu’à en rire. Son concept est, à première vue, plutôt innovant notamment par son interactivité avec les internautes de la chaîne : ils s’inscrivent sur le site france2.fr et proposent des questions qui seront alors sélectionnées par la production. Ces questions sont ensuite posées au hasard à une bande de personnalités réputées incollables présentes en plateau. Si l’internaute parvient à coller la bande, il gagne 300 euros, dans le cas contraire, cette somme s’accumule dans une cagnotte qui sera peut-être remportée par un téléspectateur en fin d’émission. Un concept qui parait original dans la forme mais dont le fond est assez proche des jeux déjà existants, à tel point que Julien Lepers, interviewé sur le plateau du Buzz TV, critiquait les ressemblances avec Questions pour un champion en proclamant : « On préfère l’originale à l’imitation ! »
Le pari risqué de l’after-school
Rémy Pflimlin, président de France Télévisions, avait promis lors de sa nomination de rajeunir en moyenne de 10 ans l’audience de France 2. Un défi ambitieux qui en 2014 ne s’est toujours pas fait sentir. Le pré-access, aussi nommé after-school (case s’étendant de 17h à 18h30) et l’access représentent des enjeux de taille pour France Télévisions, deux tranches où le groupe peut engranger de la publicité en cas de programme à succès. Pour se donner le plus de chances possible, France 2 a donc fait appel à la Grosse équipe, société de production ayant fait ses preuves sur plusieurs chaines avec des programmes « jeunes », les plus marquants étant Les Anges de la téléréalité ou Allô Nabilla sur NRJ 12. Malheureusement, dès son lancement Face à la bande ne rencontre pas le même succès, son format jeune ne se mariant pas avec le fond qui demeure un sujet davantage destiné à un public âgé. Le verdict tombe : ni le public jeune ni les personnes âgées ne se sentent concernés par cette émission qui ne parvient donc pas à relever les audiences en déclin. D’une moyenne de 8,5% de part de marché à son lancement, l’émission descend à 5% en fin novembre. Une véritable contre-performance puisque Face à la bande fait deux fois moins d’audience en part de marché que l’émission qui la précède comme celle qui lui succède.
La patience est l’art d’espérer
Le 22 novembre, malgré une nouvelle dynamique de l’émission, est annoncé l’arrêt de Face à la Bande pour cause d’audiences inférieures à celles escomptées. Si le programme sera remplacé par le Joker, nouveau concept de jeu télévisé, l’hypothèse du retour de la bande n’est pas à écarter. Là où des chaines privées comme NRJ 12 ou D8 ne prendraient pas le risque de continuer une diffusion, France 2 pourrait réitérer sa stratégie souvent payante de la continuité. En effet, même si l’émission ne marchait pas à ses débuts, celle-ci pourrait rencontrer son public au fur et à mesure des mois, gagnant peu à peu son audience. C’est ce que précisait en août dernier Nathalie André, directrice des divertissements de France 2, laissant une chance à Face à la bande. Une stratégie du « lentement mais sûrement » qui s’est notamment fait sentir sur certains des programmes phares de France Télévisions. Le meilleur exemple demeure Plus Belle la vie qui aura pris un an pour trouver son public et qui rassemble aujourd’hui 4,5 millions de téléspectateurs. Comme quoi, parfois, tout vient à point à qui sait attendre.
Félix Régnier
Sources :
lefigaro.fr
Europe 1, Le Grand Direct des Médias
ozap.com
bfmtv.com
Crédits photos :
purepeople.com
img.tvmag.lefigaro.fr

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Agora, Com & Société

Ces boîtes qui veulent coucher avec vous

 
Tout comme les marques qu’elles représentent, les entreprises ont de plus en plus tendance à élargir leurs fonctions.
Expliquons nous : de même que les marques ont cessé de cantonner leurs domaines d’activités à la vente et à la publicité pour se créer une identité à travers une action digitale soutenue, des jeux, des contenus et des courts métrages, l’entreprise n’a plus vocation à demeurer une entité neutre où l’on vient simplement travailler le matin.
Après les lovebrands, bienvenue dans le monde doré des « lovefirms ».
C’est un monde nouveau où l’austère tour de la Défense voit ses employés troquer leurs costards contre des tee-shirts à messages. Une « culture d’entreprise » s’y développe ; des salles de sports, des poufs roses sont installés et des afterworks sont organisés le soir, pour renforcer la solidarité entre salariés.
Ce fonctionnement a pour vocation, fort louable, d’éviter les épidémies de suicides comme ce fut le cas chez France Télécom il y a quelques années. Seulement il semblerait qu’entre la nanyfirm et la lovefirm la frontière soit mince… L’entreprise a-t-elle vocation à s’immiscer autant dans le privé ?

PwCool : Attention, ceci n’est pas (seulement) un salon de beauté luxueux.

Non, non, contrairement aux apparences, la photo que vous regardez n’a pas été prise dans un salon de beauté luxueux mais dans les locaux d’un géant international du conseil en audit ; j’ ai nommé PWC. Preuve que dans le conseil, on ne manque ni de moyens ni d’humour, le centre de relaxation répond au doux nom de PwCool. On y croit tous. Ce centre de relaxation fait partie d’une vague corporate qui encourage les siestes dans les entreprises françaises : ces siestes rendent plus alerte, plus performant et elles sont bonnes pour la santé !

GoogleCare
Google est depuis longtemps réputé pour être un endroit où il fait bon travailler, c’est donc sans surprise que nous avons assisté cette année à sa consécration par l’institut Great Place to Work. Google figure en tête de leur classement mondial. Au sein de ses locaux, l’entreprise abrite – bien entendu – des salles de sports, des piscines à contre courant, des restaurants, des cafés, des naproom (pièce à sieste).
Mais Google est passé à la vitesse supérieure depuis bien longtemps puisque l’entreprise ne se contente plus d’offrir des piscines à ses employés vivants, mais continue d’en prendre soin après leur mort ! Pendant 10 ans, 50% du salaire est reversé à la famille du défunt, si celui ci est décédé durant son activité chez Google. Mieux que le ObamaCare, le GoogleCare !
En effet, on s’en rapproche : dans notre premier exemple, des commodités sont installées pour que vous n’ayez plus besoin de rentrer dormir chez vous. Dans le second, l’entreprise endosse le rôle de la sécurité sociale.
Privé / Public : le dépassement des frontières
Exit les patrons irascibles et les néons jaunes. Aujourd’hui, une entreprise se doit d’avoir une âme ! Mais de quel type d’âme parle-t-on ? C’est parfois l’âme d’une maman poule voire d’un conjoint très possessif.
Et oui, votre lovefirm bien aimée vous a donné un nouveau téléphone : c’est pour mieux vous joindre partout, chers employés.
Elle vous a donné une carte bleue : c’est pour mieux contrôler vos dépenses, chers employés.
Elle vous a donné des afterworks : c’est pour mieux infiltrer vos cercles d’amis, chers employés.
Elle vous a donné des salles de siestes : c’est pour mieux remplacer votre maison, chers employés.
Crédit Agricole par exemple, pousse le zèle jusqu’à bâtir des campus pour ses salariés. Evergreen, le campus du crédit Agricole est une véritable micro-ville dotée de salons de coiffure, de concierges, de restaurants, de bibliothèques, de crèches, de salles de billard et de toutes formes de commodités. La vidéo de présentation stipule même que l’on peut y découvrir des races d’arbres et de poissons. Les cyniques diront que décidément, tout est fait pour que l’employé ne quitte jamais son lieu de travail.

Finalement, est il souhaitable de parvenir à créer une « lovefirm » ? Est il possible d’entretenir un rapport privilégié voire intime avec une société sans qu’elle ne devienne étouffante ?
Même s’il est nécessaire de se sentir à l’aise dans son lieu de travail, les problèmes générés par une culture d’entreprise poussée à l’extrême se font rapidement sentir.
En effet le concept de l’entreprise sympathique n’est pas récent et les limites ont déjà été éprouvées à maintes reprises depuis le XIXème siècle. Le campus Evergreen nous rappelle doucement les projets d’Étienne Cabet (L’Icarie), de Robert Owen (New Harmony) et d’autres socialistes romantiques dont le but était de trouver un système de travail parfait. Etienne Cabet et Robert Owen formalisèrent leurs systèmes en créant des cités-entreprises ou les employés cohabitaient. Leurs tentatives se sont soldées en majorité par des échecs : Étienne Cabet, par exemple, fut expulsé de sa propre colonie.
Même si l’on voit mal Marc Zuckerberg se faire expulser de Facebook, concentrer les liens sociaux d’un individu au sein d’une entreprise peut sans aucun doute s’avérer dangereux pour lui et pour l’entreprise.
Flore de Carmoy
Sources :
news.efinancialcareers.com
bourse.lefigaro.fr
lefigaro.fr
http://levillagebyca.com/
archive.wikiwix.com
carrieres.pwc.fr

rosetta
Com & Société

28 minutes plus tard

 
Le 12 novembre dernier, l’atterrisseur Philae s’est posé avec succès sur la surface de la comète Tchourioumov-Guérassimenko, l’objectif de la mission Rosetta, débutée en mars 2004.
Le projet de l’Agence spatiale européenne était de taille et le grand public a pu en mesurer l’importance à travers le déploiement d’un large dispositif de communication, digne d’un évènement scientifique historique. À l’approche et à la suite de l’atterrissage, Rosetta a bénéficié de la couverture médiatique classique dans la presse écrite, à la radio, à la télévision et ce à un rythme de plus en plus régulier. Mais c’est pour l’internaute que la campagne de communication sur le long terme a été la plus passionnante, sur les réseaux sociaux Facebook, Twitter ou encore Flickr. Le support de la communication digitale semblait assez inhabituel pour une mission scientifique. Chaque réseau social représentait en fait un niveau de communication différent, chacun possédant ses propres codes sémiologiques et son public. Sur Instagram et Flickr, la légende est réduite au minimum, la photographie véhicule son propre sens, en tant que code universel elle s’adresse ainsi au plus grand nombre. Sur le Facebook de l’ASE, la mission Rosetta se positionne sur le registre de l’humoristique et de l’entertainment, à l’instar de nombreuses marques sur le réseau social. La chaîne Youtube propose à elle seule une communication du divertissement (reconstitutions 3D, créations sonores), une communication sérieuse de vulgarisation scientifique destinée à un public plus averti et disposé à s’informer sur format long (des vidéos de plus d’une heure autour d’intervenants de l’ASE) et une communication publicitaire (la campagne Ambition).

 
Ce court-métrage donne par ailleurs l’impression de vouloir réunir les ingrédients de la recette miracle du succès : les codes visuels du blockbuster de science-fiction et une personnalité en vogue (Aidan Gillen alias Little finger dans Game of thrones) présentant Rosetta comme le premier pas vers un futur évolué. Enfin, le compte Twitter agit comme un flux RSS centralisant les données de tous les autres réseaux sociaux et l’on y retrouve alors la totalité des publics et des niveaux de communication. La stratégie a été construite d’une part sur un temps étiré : comme la sonde Rosetta, la communication était en veille. Par l’intermédiaire des comptes Facebook et Twitter, l’ASE a essayé au fil des mois de diluer avec une certaine régularité le teasing de l’objectif final. Puis pendant les dernières semaines, c’est-à-dire dans le temps de l’immédiat, de l’imminent, la communication a pris de l’ampleur, en partie grâce à la transmission de photographies inédites de la comète dès la fin septembre sur Flickr. Un dialogue s’est instauré entre le compte Twitter de l’atterrisseur et celui de la sonde : personnifiés par l’utilisation de la première personne, les deux engins spatiaux ont par exemple joué le drame de la séparation alors que Philae se détachait de Rosetta pour descendre sur la comète. Ravivée, la communication sur les réseaux sociaux est parvenue à recréer une interactivité entre les scientifiques et les internautes malgré l’absence de progression de la mission en terme de contenu informatif. Cette événementialisation permanente a dynamisé la phase d’approche monotone de la comète. Le jour J, le dispositif de communication s’est décliné dans une mise en abîme de l’information. Premièrement, un chat twitter a été mis en place avec des responsables de la mission Rosetta, sur le site un live stream captait la salle de contrôle et la salle de conférence où défilaient en direct les intervenants et en dernier lieu les caméras de télévision retransmettaient l’ensemble de ces installations.
Pourtant ce dispositif complexe a souffert d’une vraie faille : la communication différée. Un évènement est ancré dans le temps présent, dans l’immédiat même, ce que sont censés appuyer le fil Twitter et le live stream. Or le signal émis par Rosetta voyageait pendant 28 minutes avant d’atterrir sur nos écrans. Le contrat de la communication en temps réel est comme rompu, les temps d’attente entre une commande et sa réponse sont interminables et le live s’étire pendant plusieurs heures. Cette rupture de l’instantanéité, habitude induite par les communications modernes, atténue rapidement l’excitation du moment historique. Ce support du direct était-il alors réellement adapté aux exigences du public d’une société de communication moderne ? En somme, le temps de la science est-il compatible avec notre perception du temps au XXIe siècle ?
Il ne l’est certainement pas pour les détracteurs d’une science qui communique et qui profite des outils modernes. C’est une science qui, par tout ce dispositif communicationnel, trahit l’idéal d’une vérité sans rabaissement à la vulgarisation voire pire, à la publicitarisation. Quoiqu’il en soit, la science évolue trop rapidement pour notre système d’enseignement, seule la vulgarisation scientifique est assez souple pour suivre le rythme du progrès. Toutefois, même simplifié, le langage scientifique technique constitue la véritable et première barrière pour le grand public. Celui-ci a en effet la particularité d’être monoréférentiel, par opposition au langage courant qui peut renvoyer à plusieurs sens, les termes scientifiques obéissent à la règle de biunivocité, c’est-à-dire que chaque concept est désigné par un seul signe et un signe ne peut renvoyer qu’à un seul et même concept. D’où la difficulté à communiquer avec un système de références inconnu du destinataire. Pourtant, il est bien nécessaire que ce dispositif communicationnel instauré autour de la mission Rosetta soit décliné dans tous les autres projets scientifiques d’importance, le progrès doit être diffusé et chaque citoyen doit trouver son compte dans un des niveaux d’information, du plus imagé aux discours les plus techniques.
Marc Blanchi
@mrcblki
Sources:
Les faces cachées du discours scientifique (dans la revue Langue française, numéro 64, 1984), Yves Gentilhomme
Rosetta.esa.int
flickr.com
Twitter.com
Facebook.com
Crédits images :
Instagram.com

froosties
Société

Société de consommation et symbolique des objets quotidiens

La symbolique des produits issus de la grande consommation est de plus en plus puissante et omniprésente dans notre quotidien, notamment en raison d’un processus de »dépublicitarisation ». Il s’agit d’une nouvelle forme de publicité qui « avance masquée », se fait plus discrète et s’immisce désormais à tous les niveaux de notre société. Si elle était déjà présente dans l’espace public elle investit à présent les institutions culturelles à l’instar du musée Haribo.
Mais comment expliquer cette ode contemporaine aux objets du quotidien, si longtemps négligés? Pourquoi mettons-nous aujourd’hui ces objets sur un piédestal ?Zoom sur une nouvelle tendance des plus étranges : la glorification des objets du quotidien.
Un phénomène déjà mis en évidence par A.Warhol et J.Baudrillard
Andy Warhol, artiste new-yorkais des années 1960, organisa une exposition autour des célèbres conserves de Campbell’s Soup. Grâce à la répétition d’images jusqu’à épuisement, le « pape du pop art » mettait en scène le pouvoir symbolique des objets du quotidien. Une manière innovante et efficace de jouer avec la société de consommation et ses excès pour en faire de véritables œuvres d’art.
Dix ans plus tard, Jean Baudrillard, sociologue et philosophe français, publiait deux ouvrages : Le système des objets et La société de consommation devenus des références dans les sciences de l’information et de la communication. L’auteur y analysait notamment le sens nouveau des objets du quotidien.
Malgré la justesse de leur vision, ces personnalités pouvaient-elles prévoir l’ampleur que prendrait ce phénomène ? Pouvaient-elles concevoir que nous collectionnerions un jour les objets du quotidien comme de véritables objets fétiches ? Le phénomène prend une ampleur telle, que la collection des objets triviaux est aujourd’hui parfaitement intégrée dans les stratégies des marketeurs et distributeurs.
Vers une mise en scène des objets du quotidien ?
Cette tendance semble être due à la manie 2.0 de mettre en scène notre quotidien sur les réseaux sociaux, et illustre bien le phénomène d’ »extimité de soi » décrit par Serge Tisseron qui consiste à mettre en avant une partie de son intimité.
Attention cependant : il n’est pas question d’afficher son quotidien tel quel : pas de photos montrant notre vaisselle qui s’amoncèle ! Il s’agit plutôt de partager des photos retouchées pour donner une touche vintage au dernier café branché déniché par nos soins. Bref, on magnifie notre quotidien et les objets qui nous entourent.
Dès lors comment expliquer l’importance grandissante que l’on accorde à des objets que nous jetions auparavant sans même un regard?
La chercheuse du GRIPIC, Caroline Marti de Montety, apporte un élément de réponse, en montrant dans l’essai nommé « La fin de la publicité ? » comment les marques sont impliquées dans les processus de productions médiatiques et culturelles. Elle énonce que « cette institutionnalisation de la muséification des marques est en cours ». Son étude lui permet de mettre en lumière le fait que les marques s’insèrent de plus en plus dans notre culture et sont omniprésentes dans notre société spectaculaire. Il semble donc normal que les produits que nous vendent les marques s’immiscent à leur tour dans notre vie, jusqu’à ce qu’on les affectionne, les chouchoute et les « starifie ».
L’impertinence du luxe : une nouvelle étape dans l’affirmation de cette tendance
Preuve que cette tendance existe, les marques de luxe, investissent à leur tour cette mouvance et la mettent à l’honneur dans leurs dernières collections.
En effet, Chanel a récemment organisé un défilé dans un faux supermarché; évènement analysé ici même dans un précédent article

Peut-on penser qu’avec une empreinte de marque forte, tout peut se vendre ? Suffirait-il d’apposer le miraculeux logo Chanel pour que des objets du quotidien prennent une valeur ajoutée ? Il semble que les marques aient décidé de surfer sur ce nouveau phénomène en intégrant les objets de la grande distribution dans leurs créations. Un processus qui magnifie encore plus ces objets jusqu’à les ériger au statut d’œuvre d’art consommable.
Cela n’aboutit pas pour autant à une démocratisation du luxe, bien au contraire ! Il se joue des codes, flirte de façon éhontée avec nos habitudes et avec notre modeste quotidien ! Ce n’est plus pour dénoncer la société de consommation mais définitivement pour la sublimer et nous provoquer! Warhol le visionnaire, avait proclamé dès 1975:  » tous les grands magasins deviendront des musées et tous les musées deviendront des grands magasins ». Une prédiction qui semble désormais, s’être bien tristement réalisée !
Analyse de cas : co-branding Anya Hindmarch et Kelloggs

Une illustration de cette tendance pourrait être le cas de co-branding entre les marques Anya Hindmarch et Kelloggs. En effet, la marque de maroquinerie Anya Hindmarch , reprend, dans sa nouvelle collection les motifs de la marque de céréales Kellogg’s. On observe ici un double phénomène: Anya Hindmarch reprend le motif des paquets de corn flakes et les boîtes de céréales vendues en magasin mettent en scène ses sacs. On ne sait presque plus faire la différence entre la boite de céréales et le sac en cuir haut de gamme. Ceci est donc la preuve que ce phénomène brouille la limite entre objet du quotidien et objet de mode.
Parfait ! Demain j’achète un paquet de Froosties que j’utiliserai en sac à main : économies à l’horizon !
Enfin, avant de vous débarrasser de vos objets du quotidien, songez que vous pourriez tenir entre vos mains, les reliques des musées de demain.

Clara Duval
Sources:
La fin de la publicité ? – Caroline Marti de Montety, Valérie Patrin-Leclère et Karine
Berthelot-Guiet
La société de consommation – Jean Baudrillard
Le système des objets – Jean Baudrillard
Wikipédia.fr
Instagram
Anya Hindmarch
Colette.fr
Leparisien.fr
Crédits photos:
Leparisdunechicfille.com
Amazonaws.com
beachpackagingdesign.com
joyana.fr

kama sutra
Société

De l'art, du sexe, du buzz : la débandade cul-turelle ?

 
Entre les performances d’art contemporain massivement relayées sur les réseaux sociaux et les expositions dont la promotion crée le buzz, les événements culturels puisent généreusement dans le registre du sexe pour aguicher le public et semblent ainsi utiliser un ressort publicitaire éculé pour se faire connaître. L’art serait-il destiné à devenir une marchandise comme une autre ?
Le boom des expositions cul-turelles
Comment prendre le métro parisien sans remarquer les innombrables affiches pour les expositions sulfureuses de la saison Automne-Hiver 2014 ? Au programme : le marquis de Sade au musée d’Orsay, le Kâma-Sûtra et l’amour au temps des Geishas à la Pinacothèque. Evidemment, la nudité et la sexualité sont loin d’être des sujets artistiques nouveaux. Et il n’est pas question dans ces expositions de choquer. Au contraire, l’exposition « Kâma-Sûtra, spiritualité et érotisme dans l’art indien » vise à faire découvrir cet ouvrage du IVe siècle sous un jour nouveau, à éclairer son approche de la spiritualité, loin de l’image d’un traité pornographique et salace, comme le souligne Alka Pande, le commissaire de l’exposition. La rétrospective sur le marquis de Sade est quant à elle composée d’extraits de son œuvre, illustrés par des toiles de Goya, Picasso, Rodin, Ingres… Point de subversion scandaleuse, en somme.

En fait, c’est davantage la communication mise en place autour de ces événements qui pose question. Les deux expositions de la Pinacothèque laissent entrevoir leur postulat : le sexe attire. Mais c’est sans doute le musée d’Orsay qui joue le plus sur cet attrait, en réalisant une vidéo de promotion érotique. Dans celle-ci, des corps nus s’étreignent. Cette vidéo ne laisse personne indifférent : on est choqué, sidéré, touché. Le buzz généré par celle-ci, sanctionnée sur YouTube par l’interdiction aux mineurs, montre que le musée a vu juste en jouant sur le caractère mobilisateur du sexe, comme il l’avait fait pour son exposition Masculin/masculin dont la vidéo avait elle aussi été censurée. Ce qui dérange, c’est l’utilisation par une institution culturelle de ressorts intimement liés à la publicité. Le procédé est gros, énorme, même. Or le fait d’utiliser des procédés communs à la publicité fait entrer l’art dans le commercial, le transforme en marchandise.

L’art et la manière de faire le buzz
L’art contemporain et notamment les « performances », fonctionnent par l’étonnement, le choc ou la perplexité d’un public. On pense par exemple au sapin aux airs de plug anal exposé sur la place de la Concorde pendant la FIAC, la Foire d’Art Contemporain à Paris. Mais quand Milo Moiré assure «évoquer la création de la peur», nous, nous voyons avant tout une femme nue en train de pondre, avec son vagin, des œufs remplis de colorant qui s’éclatent mollement sur une toile blanche. Cette artiste suisse a marqué les esprits avec sa performance à l’Art Cologne 2014 et ce qui est sûr, c’est que même si on n’est pas passionné d’art expérimental ou voyeur, il a été difficile d’échapper à ses vidéos qui ont circulé sur tous les réseaux sociaux. Dans la même veine, l’australienne Casey Jenkins avait fait le buzz après avoir tricoté avec de la laine préalablement introduite dans son vagin et imbibée de sang menstruel.

La débandade culturelle ?
En fait, selon la sociologue de l’art Nathalie Heinich, « l’utilisation du vocabulaire de la transgression, et notamment de la culture pornographique […] rend ces œuvres accessibles aux néophytes. » On observe ainsi un engouement sans précédent pour l’art contemporain, en particulier pour les performances. Mi-octobre, par exemple, 500 000 visiteurs se sont pressés dans les espaces dédiés à la performance de la FIAC. Et tout au long du mois d’octobre, d’innombrables sites d’informations et journaux ont publié des articles intitulés « Comment parler d’art contemporain quand on n’y connaît rien ? ». La question ne serait-elle pas plutôt « Pourquoi vouloir parler d’art contemporain quand on n’y connaît rien ? » ? Cette popularisation de l’art contemporain est, en réalité, biaisée. Car si la transgression exposée un peu plus haut est suffisante pour faire le tour de YouTube, ces performances n’intéressent pas véritablement le monde de l’art. Elles sont périphériques et n’ont d’ailleurs fait parler d’elles que sur les sites d’information généralistes et les réseaux sociaux. Difficile de croire donc à un art mis en danger par une « publicitarisation » d’événements marginaux…
 
Louise Pfirsch
@: Louise Pfirsch
Sources :
Le Monde, « Le Kama-sutra, lointain souvenir du désir », samedi 15 Novembre 2014
konbini.com
Stylist n° 067, « Quand la performance étouffe l’art », 30 octobre 2014
Crédits images :
amessagetoindia2.wordpress.com
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Crédit vidéo :
DailyMotion