Société

Twitter : arme de communication massive ?

 
En novembre dernier, une nouvelle étape a été franchie dans la communication de guerre. Pour la première fois depuis l’invention d’Internet, un Etat a utilisé ce médium pour annoncer publiquement son entrée en guerre.
La guerre version 2.0
Le 14 novembre dernier, le porte-parole de l’armée Israélienne – le Tsahal- a en effet publié sur Twitter ce message : « The IDF has begun a widespread campaign on terror sites & operatives in the #Gaza Strip, chief among them #Hamas & Islamic Jihad targets » afin d’annoncer le début des opérations militaires dans la bande de Gaza.

« Fast and Curious » n’ayant aucune vocation politique, le but de cet article n’est pas de prendre parti dans le conflit israélo-palestinien mais bien d’analyser un phénomène de communication sans précédent.
Avec une moyenne de 50 tweets émis par jour, l’IDF (Israel Defense Forces) est entré dans une véritable phase de communication massive pour expliquer au World Wild Web et donc à l’opinion publique mondiale les tenants et aboutissants de cette guerre. Une telle initiative ne peut être le fruit du hasard et relève donc de toute évidence d’une véritable stratégie de la part de l’Etat Israélien.
Au cours des derniers conflits, le gouvernement de Benjamin Netanyahou s’était en effet vu reprocher par la scène internationale son manque de transparence sur le conflit. Cette nouvelle stratégie prend le contrepied des critiques précédentes. Israël rend quasi compte en temps réel du nombre de rockets qui sont envoyés sur Gaza. De plus, en alertant les autorités palestiniennes plusieurs heures avant les attaques qu’ils s’apprêtaient à mener, l’Etat Israélien met en évidence sa volonté d’éviter les pertes civiles.
Cette stratégie de communication numérique ne se limite pas à envoyer des messages sur la plate-forme de microblogging. Un site internet complète les informations relayées sur Twitter. Et le Tsahal va même jusqu’à publier sur Youtube les vidéos des bombardements visant des hauts responsables du Hamas, empêchant ainsi le mouvement islamiste de nier les faits.
Comprenant l’utilisation qu’il était possible de faire des réseaux sociaux, le Hamas s’est lui aussi emparé de la toile afin de répondre sur Twitter aux messages postés par l’IDF. Chacune des parties prenantes invective ses followers à faire entendre leur voix, notamment en retweetant les posts sur leurs propres comptes.
Depuis le 14 novembre, la guerre des tweets a bien lieu.
#cleanwar
On peut s’interroger sur légitimité d’un Etat à utiliser un réseau social pour effectuer ce genre d’annonces. Peut-être est-il nécessaire de rappeler que sur Twitter, les comptes les plus suivis sont ceux de Lady Gaga et de Justin Bieber (avec respectivement 21 millions et 18 millions de followers). Certes, des politiques s’invitent en haut du classement avec notamment la présence de Barack Obama dans le top 10. Mais, n’aurait-il pas paru déplacé que le président des Etats-Unis annonce, en juin 2011, la mort d’Oussama Ben Laden en 140 caractères ?
Certes, l’éthique n’est jamais l’enjeu prioritaire en temps de guerre. Mais la guerre, à l’image de toute autre situation critique, n’implique- t-elle pas une dose de retenue? Le danger avec Internet est de considérer la guerre, et donc les morts que celle-ci entraîne inévitablement, comme faisant partie d’une réalité virtuelle. Et donc, de rendre les pertes humaines et matérielles plus acceptables. Signe de ces dérives, des images du conflit circulent déjà sur Instagram, la célèbre application permettant le partage et le traitement des photos. Regarder un village se faire bombarder en couleur sépia ne semble pas le moyen le plus approprié de prendre conscience de pertes humaines.
Et pourtant, avant ces évènements, des photos de guerre étaient déjà exposées en une des magazines et les militaires détaillaient en conférence de presse l’avancée des opérations. De toute évidence, la communication de guerre n’est pas une idée nouvelle. Alors pourquoi une telle défiance médiatique face à la stratégie mise en place par le Tsahal?
Certains n’hésitent pas à affirmer que c’est parce qu’elle prive les journalistes du « scoop » qui fait vendre. En réalité, la plus grande perte du journalisme est ici d’être privé de son rôle d’intermédiaire. A une époque où la communication est omniprésente, la médiation entre discours officiel et réception individuelle est plus que jamais nécessaire. En supprimant la fonction d’intermédiaire, on autorise des forces politiques à ne diffuser qu’une seule vision de la guerre : la leur.
Il y a 40 ans, Internet était créé à des fins militaires. Le dernier conflit israélo-palestinien nous rappelle qu’en 2012, le web est plus que jamais une arme efficace pour qui sait l’utiliser.
 
Angélina Pineau
Sources :
Slate
Rue89
France24

Royal Couple Kate & Harry
Com & Société

Buckingham Boom

 
« Their Royal Highnesses The Duke and Duchess of Cambridge are very pleased to announce that The Duchess of Cambridge is expecting a baby. »
Kate Middleton est enceinte ! Le bureau de Clarence House a annoncé lundi 3 décembre que la Duchesse avait été hospitalisée à King Edward VII en raison d’Hypermesis Gradivarium, terme qui désigne de sévères nausées matinales. 3, 2, 1,  partez ! Le sifflet de l’arbitre a retenti pour donner le départ de la course aux informations sur le « Royal Baby ». La fin des spéculations sur la probabilité d’une grossesse entraîne désormais une nouvelle chasse aux ragots. En effet, l’annonce, que l’on pourrait considérer comme la suite logique des aventures du couple, qui plus est lorsqu’on appartient à la famille héritière, a eu l’effet d’une bombe médiatique : un véritable baby-buzz !
L’annonce de Clarence House a d’abord suscité un fort enthousiasme populaire : toute l’Angleterre bourdonne, gazouille… et tweete ! David Cameron, suivi d’autres personnalités, félicite le couple royal. La planète Twitter s’anime sur le compte @RoyalFetus qui se veut être la voix du futur bébé en direct du ventre de la princesse. Pas loin de 3000 followers en deux heures. Il a déjà déclaré ne pas être roux… Les paris sur le sexe du bébé, son prénom, la couleur de ses cheveux et ses parrains, marraines, reprennent de plus belle et nous rappellent ceux sur la robe du mariage de la princesse, il y a deux ans. La suite du conte de fées de Kate Middleton est magnifiée par les médias et la monarchie en profite pour fortifier le sentiment d’attachement et d’admiration à travers un évènement historique fort.
En plus d’être une excellente nouvelle pour le couple princier, c’est aussi un excellent coup de publicité pour redorer le blason de la couronne. Blason entaché par le « strip-billard » du Prince Harry en vacances à Las Vegas et les photos scandaleuses de Kate « topless » dans le magazine Closer. De quoi détoner avec l’image de perfection véhiculée par l’Angleterre. Cette annonce arrive à point nommé pour remettre les compteurs à zéro. Plus besoin de conseillers en communication pour se racheter ! Le bébé communique de lui-même et suscite la fascination de tous. Obnubilé par cette nouvelle, le public fait table rase du passé pour se tourner vers le futur. Le royal marketing s’opère et on imagine que de nouveaux produits dérivés du type mugs « A Royal Baby on 2013 » vont bientôt apparaître.
Deux évènements culturels majeurs ont permis à l’Angleterre de briller sur la scène internationale en 2012 : les Jeux Olympiques de Londres et le Jubilé de Diamant de la reine Elisabeth II. Ils ont prouvé que l’Angleterre est une monarchie moderne, Londres une capitale dynamique. La déclaration du lundi 3 décembre s’inscrit donc dans la continuité de la communication de l’année 2012.
A l’approche de Noël, ce bébé est annoncé par certains comme le « divin enfant ». On perçoit bien l’angle d’attaque de la communication de 2013, fondée sur la venue du futur héritier. On peut aussi voir dans cette nouvelle un véritable symbole de pérennité, de longévité : la transmission de la couronne est assurée. En effet, l’Act of Settlement de 1701, modifié il y a peu, déclare qu’une fille aînée peut désormais, au même titre qu’un garçon, monter sur le trône d’Angleterre. Cela constitue une sécurité pour le pays : la relève sera garantie, perspective rassurante en temps de crise.
L’Angleterre finit donc l’année en beauté et donne le la pour 2013. La naissance implique quelque chose de nouveau, un « plus » pour continuer à attirer le regard du public et des médias sur le pays.
 
Félicia de Petiville
Sources :
Le Nouvel Observateur
Huffington Post
Site officiel de la monarchie britannique
Crédits photo : http://www.dukeandduchessofcambridge.org/

Archives

Jacques a dit Versailles est le centre du monde

 
Jacques ne nous apprend rien de nouveau. De Louis XIV à nos jours, des livres d’histoire aux magazines, nous l’avons lu et relu. Le Château de Versailles fut le soleil de l’occident, la lumière qui attira les intellectuels de tous pays. Tout venait à Versailles, tout passait à Versailles, tout partait de Versailles. C’est ainsi que l’on peut résumer le rôle qu’eut ce marais aménagé. Soucieux de la culture de tous, Jacques a tapissé certains murs avec de belles images pour rappeler aux Français ce lieu commun.
Cette tapisserie urbaine nous dit implicitement : «  Versailles est le centre du monde ». Surinterprétation des slogans ? Peut-être. Pourtant ces derniers font référence à différentes parties du monde et les situent à Versailles. Ainsi, « le Loch Ness » est à « 20 minutes de Paris. ». D’ailleurs, le Loch Ness côtoie la Grèce Antique, l’Angleterre et Venise, elles aussi étrangement situées à « 20 minutes de Paris ». Cette périphrase désigne bien-sûr l’illustre château et son parc. Par ces différents slogans, les publicitaires définissent Versailles comme un centre historique, réunissant différentes époques en une même temporalité, et un centre géographique, rassemblant différents milieux en un même lieu. Dans le passé comme aujourd’hui, Versailles reste le centre du monde.
Les panneaux publicitaires s’inscrivent donc dans une continuité historique. Simples, épurés, ils rappellent le classicisme du château. Pourtant, il ne s’agit pas d’affiches standard, avec une forme en adéquation avec le fond, c’est-à-dire sans originalité. Bien au contraire, elles surprennent ! Cherchant à attirer des touristes à Versailles, elles ne montrent pas de photo du château : ce sont toujours des éléments périphériques qui sont mis en valeur. Ainsi sur une affiche, l’on voit le cheval d’une fontaine, sur une autre le soleil d’un portail etc. Il a fallu apporter un peu de nouveauté dans la promotion d’un lieu plus que célèbre. En France tout le monde connait ce Château, est en mesure de dire à qui il appartenait et sait le situer. Il s’agit d’un sujet vu et revu, battu et rebattu. Les publicitaires cherchent donc à nous montrer que non, nous ne connaissons pas tout, et que oui, nous devrions y retourner (ou y aller). Certaines des affiches ont un côté mystérieux. Reprenons (encore et toujours) celle du Loch Ness. Votre curiosité n’est-elle pas éveillée ? N’avez-vous point envie de saisir votre manteau et monter dans le RER afin d’aller guetter l’apparition du monstre légendaire ?
Convaincante. C’est ainsi que l’on peut résumer la démarche de promotion du Château. D’ailleurs, les publicitaires l’ont bien compris. Cette campagne en effet dure depuis plus d’un an. Régulièrement, de nouvelles images apparaissent dans le métro, toutes basées sur le même concept. Les plus récentes étant celles de la Grèce Antique et du Loch Ness. Cette campagne sur le long-terme est accompagnée de gentlemen-wagons transformés en mini-Versailles.Cinq rames feront découvrir le Château, et ce pendant 2 ans. Versailles envahit Paris semble-t-il…pour la plus grande joie des paresseux qui auront la Galerie des Glaces à portée de main !
Aventure ou tranquillité, monstres ou décors fastueux… deux campagnes pour deux publics différents. A vous de choisir votre camp !
 
Clothilde Varenne

Sources :
http://paris-ile-de-france.france3.fr/info/diaporama—le-rer-c-s-habille-en-versailles-73934498.html

Société

Les TED et la victoire du storytelling

 
Elles arrivent petit à petit en France, et commencent doucement à se faire reconnaître du grand public : les conférences TED n’ont pas fini de fasciner, en témoigne la littérature prolixe qui fleurit sur le web à leur sujet. Fondées d’abord aux Etats-Unis en 1984, les TED (Technology, Entertainment, Design) avaient un objectif simple et loin d’être révolutionnaire : partager des points de vue nouveaux (leur slogan est “ideas worth spreading”) en faisant intervenir des spécialistes dans des conférences ouvertes au grand public. L’avènement et la démocratisation d’Internet a évidemment dopé leur développement puisque toutes les conférences (1400 à ce jour) sont publiées sur leur site, parfois même sous titrées par des volontaires, le tout gratuitement. Le succès fut sans précédent. TED a réussi à créer une véritable communauté sans être taxé d’élitisme, à intéresser un public qui dépasse celui des seuls habitués aux conférences. Communauté qui  d’ailleurs ne cesse de s’agrandir, TED se disséminant peu à peu dans d’autres pays ; son arrivée en France date de 2009, et depuis septembre 2012, ce ne sont pas moins de trois TEDx (nom donné aux évènements TED) qui ont occupé de grands lieux de Paris, tels que la Gaîté Lyrique ou le Panthéon de la Sorbonne.
 
Comment expliquer cet engouement ?
Les TED ont parfaitement su s’adapter au nouveau régime de la consommation du savoir mis en place par l’arrivée d’Internet. Lorsqu’un internaute navigue sur le web, chacune de ses fenêtres affiche un contenu  différent, il peut, en un clic, passer d’un diaporama sur des photos édifiantes à un article scientifique surprenant, en passant par une chronique amusante ou touchante. C’est un peu ce que proposent ces conférences. En « live », une dizaine d’intervenants se relaient, en ne dépassant que rarement les vingt minutes de parole. Il en va de même lorsque l’on se rend sur le site où l’on nous dit « browse by subject, length, or rating (inspiring, jaw-dropping, funny…) » : tout est à la demande, et si l’on ne créé pas la vidéo qu’on veut voir, on n’en a jamais été aussi près, puisque nous sommes les seuls décideurs de sa durée, son sujet, son ambiance, sa qualité. Les TED sont en quelque sorte le microcosme d’Internet, ou du moins de l’image idéalisée que l’on peut s’en faire : un lieu où l’éclectisme, comme le savoir, est à portée de main.
Mais proposer du contenu intelligent ne suffit pas à soulever l’enthousiasme, et il serait quelque peu ingénu de croire qu’il a alimenté à lui seul la gloire de TED.

En effet l’autre clef de la réussite de TED, la différenciant des traditionnelles conférences, est l’utilisation du fameux concept de  storytelling. Regardez ne serait-ce que trois vidéos et vous verrez que le commencement est toujours le même : des applaudissements, les saluts de l’invité, puis une brève narration de sa vie et de l’élément qui l’a bouleversée et explique sa présence ce soir. Tous ces gens ont une histoire à raconter, bien spécifique, dont ils ont tiré des conséquences, un certain savoir ainsi que des règles qui désormais dictent leur vie et qu’ils se doivent de nous transmettre. Rien n’est plus efficace que ce procédé. Raconter un fait personnel et parvenir à le lier à un propos abstrait le rend palpable et humain, ainsi qu’intéressant, car il mobilise nos émotions voire crée un processus d’identification. Tout le monde aime les gens qui « ont une histoire ».
C’est ainsi que TED a institutionnalisé ce moyen de communication qui se retrouve désormais dans tous les discours de marques : on se souvient de ceux de Steve Jobs, on écoute encore ceux de Marc Zuckerberg. Les TED sont cet intermédiaire entre la conférence scolaire et la communication d’une marque : ses intervenants sont souvent des entrepreneurs, les conférences sont parrainées par de grandes marques (Canal + et Orange sponsorisent la prochaine). Le storytelling devient même une pratique à part entière ; à la dernière TEDxSorbonne, un des intervenants a parlé pendant 20 minutes de rencontres qu’il avait faites au cours de sa vie, et je dois avouer que j’étais très perplexe sur le fond de sa pensée, jusqu’à ce que je voie un tweet disant qu’il faisait une superbe démonstration de storytelling.
Le storytelling, pilier de TED et de la communication désormais, est donc à double tranchant. Il a l’avantage de pouvoir nous intéresser à presque tout et n’importe quoi, mais ne risque-t-il pas de réduire le discours a un simple exercice rhétorique, que, finalement, nous oublions dès que l’émotion qu’il a nous a procurée est passée ? (Ne finit-il pas par desservir le partage du savoir ?)  C’est en tout cas ce qu’illustrent les flops de l’opération Kony 2012 ou de la publicité pour Facebook, les deux vidéos commençant presque par les mêmes images et le même texte, leur message étant pourtant totalement différent.
Virginie Béjot
Sources :
TED : http://www.ted.com/pages/about
TEDxParis : http://tedxparis.com/
Retrouvez également le live tweet de la dernière conférence TED à la Sorbonne sur le fil twitter de @FastNCurious_

Flops

Quand la mode descend dans la rue

 
Germanophone et féru-e de mode, peut-être avez-vous eu la chance de feuilleter l’édition allemande de Vogue du mois dernier. Si oui, vous avez sûrement remarqué certaines photographies d’un goût douteux. Si non, ce qui est parfaitement compréhensible, voici de quoi vous mettre à la page.

On retrouve donc dans cette édition d’octobre 2012 une série de photographies prises dans les rues de New York par Sebastian Kim. Sur le papier glacé, les mannequins posent de manière volontairement négligée devant les enseignes les plus luxueuses. Les magasins Prada et Céline servent alors d’arrière-plan à une mise en scène de la précarité de sans domiciles fixes. Fort heureusement pour la sensibilité des lecteurs, elles restent très bien habillées. Une mannequin fait la manche en lançant un regard glamour et mystérieux. Une autre exhibe ses sacs haute-couture en s’appuyant sur un caddie rempli de canettes de Coca Cola recyclées. Pauvres, mais élégantes d’abord !
L’extrême pauvreté est un sujet tabou. Et la mêler au luxe, ça fait parler. La campagne est de mauvais goût, certes. Mais la démarche artistique aurait pu être intéressante, si elle avait servi à dénoncer la précarité… Mais non. Il semble que Vogue, et le luxe en général, préfèrent jouer la carte de la légèreté et profiter du buzz créé par la mode version SDF.
Les magazines français n’échappent pas à cette tendance. Prenons le magazine de mode Antidote qui, l’an dernier, publiait une série de photos du même genre. Seulement, dans ce cas, le cadre se veut beaucoup plus réaliste.

Cheveux crêpés, cartons en guise de lit, tous les éléments de la caricature sont là. La ligne du politiquement correct est allègrement franchie ; il faut savoir choquer et  faire parler de soi. Peu importe que les critiques soient positives ou non, l’essentiel est de faire du bruit.
Au delà du simple shooting photo, la précarité inspire aussi les créateurs. En2009, l’allemand Patrick Mohr faisait défiler des sans domiciles fixes aux côtés des mannequins professionnels. Un an plus tard, Vivienne Westwood dévoilait la collection « Homeless chic ». Voyez par vous mêmes :

La mode sait être drôle, elle sait aussi être vulgaire et choquante. Peut-être devrait-elle apprendre à trouver le juste milieu entre créativité et respect de l’autre.
 
Khady So
Sources :
Le site du Spiegel
Buzzfeed.com

Agora, Com & Société

L’Impossible.fr, une autre presse

 
En mars 2012, un nouveau venu s’installe dans nos kiosques à journaux. Il ressemble à ces anciens feuillets que l’on cachait sous le manteau. Son nom, L’Impossible, son fondateur, Michel Butel. Et déjà, tout est dit. Vingt ans jour pour jour après la disparition de L’Autre Journal, ce « mook » mensuel singulier reprend de son prédécesseur cette conviction que la presse peut être une œuvre d’art, c’est à dire un espace de liberté et de création. Ainsi, Michel Butel fait appel dans L’Impossible à des écrivains, des poètes, des photographes et des dessinateurs. Des amis et des passionnés, qui s’imposent non pas comme des journalistes, mais comme des artistes dont les idées et les combats s’illustrent par un ton en marge des formulations étriquées de la presse française.

Attaché au papier, seul véritable véhicule de l’émotion de la lecture, Michel Butel et sa rédaction revoient pourtant leur position et lancent le 23 novembre 2012 le site internet (nouvelle version) du journal. On y retrouve certains articles des précédents numéros, des textes de Michel Butel, et bien sûr, la possibilité de s’abonner ou de recevoir en pdf le journal, pour 3 euros. Dans ses billets, la rédaction n’hésite pas à dévoiler les logiques marchandes qui entourent la production du journal, à l’inverse de nombreuses publications qui préfèrent régler dans l’ombre leurs différents. Le combat de L’Impossible contre Presstalis est dévoilé au grand jour: David se dresse contre Goliath et réclame son gain. Et pour cause, le distributeur en crise n’a tout simplement pas distribué à la date prévue le premier numéro, engrangeant de fortes pertes pour un journal indépendant qui bénéficiait d’une forte médiatisation pour sa naissance. Pire, la première messagerie de presse française retient encore une partie du capital de la vente des premiers numéros, une prise en otage désespérée pour un réseau qui connaît en ce moment la fuite de nombreux éditeurs. Michel Butel évoque cette affaire dans son appel aux dons, justifiant par l’indépendance (face aux régies) du journal le recours au mécénat et à la vente de parts de son capital.
Contrairement à sa lecture papier, assez indigeste pour des yeux amateurs, le site de L’Impossible brille par sa clarté. Nouveau rendez-vous d’une communauté peut-être moins parisienne et plus diversifiée, L’Impossible se découvre aussi sur Facebook, dont la page témoigne fièrement de plus de 7000 fans à ce jour. Il se crée un sentiment particulier à la lecture de ce journal, un instant poétique. À la fois un acte subversif envers notre presse si homogène et protocolaire, et l’impression de renouer avec un modèle ancien, celui des écrivains-journalistes.
Une belle preuve que l’utopie peut parfois coïncider avec la réalité, qu’un projet éditorial peut se dresser comme un pont entre le monde littéraire et intellectuel de ses contributeurs, et la vie numérique et connectée d’une bonne partie de ses lecteurs.
Fort de son succès, L’Impossible annonce la création d’un hebdomadaire nommé Encore, plus proche de l’actualité, et qui verra le jour à la fin du mois de janvier.
 
Clémentine Malgras
Sources
Interview Michel Butel et Laeticia Bianchi pour Télérama : http://www.telerama.fr/medias/michel-butel-l-impossible-et-laetitia-bianchi-le-tigre-tant-que-le-desir-existe-nos-journaux-survivront,87363.php
Site du journal : http://www.limpossible.fr/
Pour suivre le fondateur sur Twitter : @michelbutel
Et le journal sur Facebook : https://www.facebook.com/limpossible.journal?fref=ts

Com & Société

Le Canada se refait une beauté

 
On oublie souvent que le Québec est une province à part, et distincte à bien des égards, du Canada. Hasard ou volonté de se distinguer, le Québec et le Canada ont chacun lancé une campagne de communication territoriale ce mois-ci, visant à redorer le blason de leur destination touristique. Polyphonie ou cacophonie ? Les voix du Canada s’élèvent. Mais reconnaissons-le,  la période de novembre, prémices de l’hiver, n’est pas si anodine quand on sait que le Canada réalise la majorité de ses bénéfices touristiques sous la neige.
 
Les Canadiens s’expriment 
L’office du tourisme du Canada a lancé ces derniers jours sa campagne intitulée  « les Canadiens invitent le monde entier chez eux ! », aboutissement du projet de la Commission Canadienne du Tourisme (CCT), 35 millions de regards. Cet été, la CCT a confié aux Canadiens la mission de promouvoir leur pays en envoyant des photos et des vidéos de leur endroit préféré, de leur plat gastronomique favori, ou d’un autre sujet faisant foi de leur amour pour leur pays. Le résultat a été concluant, puisque plus de 6000 participants ont répondu à l’appel. Les 65 heures de vidéos reçues ont donné lieu à la création d’un spot de deux minutes.
Ces quelques minutes condensent toutes les régions touristiques du Canada, de magnifiques paysages, de nombreuses expériences sportives qui montrent la diversité du pays. Mais elles dévoilent aussi des images de montagnes russes, de plans divers sur des pieds humains, de glaces italiennes et de hot-dogs, ou encore de chiens, chevaux et autres animaux qui sembleraient faire l’originalité du Canada…
Est-ce à l’agence DDB ou à la Commission canadienne du tourisme qu’a été confiée la tâche de sélectionner les vidéos des participants ? Lorsque l’on sait, après avoir lu le communiqué de la CCT, que  « cette vidéo, présentée autour du globe dans des campagnes et autres initiatives de marketing, est également diffusée à grande échelle dans les médias sociaux, notamment par les Canadiens qui ont contribué au projet », on comprend mieux que ce projet a nécessité des compromis. En effet, on suppose, pour que la viralité et la diffusion sur les réseaux sociaux soient efficaces, que les Canadiens doivent se reconnaître et apprécier la vidéo.
L’originalité est donc formelle, et réside dans le principe, comme le souligne Greg Klassen, vice-président de la CCT : « Personne ne saurait mieux mettre notre pays en valeur que les Canadiens ». Mais, selon le rapport sommaire de la Veille Touristique Mondiale de 2011,  cette campagne de communication participative survient après l’absence de campagne publicitaire touristique en 2011 au sein du Canada. Et cette absence de toute publicité a fait chuter sensiblement la notoriété spontanée des Canadiens pour les voyages « intra-muros ». Ainsi à la recherche de viralité et d’efficacité, la campagne a l’air de viser deux cibles, l’international et le national, et ce à moindre coût. Finalement le résultat  donne plus le sentiment d’un éparpillement qu’il n’engendre un buzz.
De plus, même si la volonté démocratique est visible, elle n’en reste pas moins maladroite.  On se rappelle les campagnes de Swedish Institute et Visit Sweden en 2011, dans lesquelles  les deux institutions avaient mis en place le compte Twitter de la Suède, @Sweden, et laissaient la place aux internautes chaque semaine pour qu’ils s’expriment sur leur pays. La grande différence ? Les tweets ne sont ni censurés ni « choisis » ; on pouvait alors lire des avis déconseillant tel restaurant ou tel bar. La sélection détruit ici l’authenticité proclamée dans la campagne canadienne.

Le Québec joue sur les mots 
Le même mois, Tourisme Québec lance une vidéo publicitaire intitulée « Raconter le Québec » promouvant la région seulement.  Lorsque «  Les Canadiens invitent le monde entier chez eux » sur fond musical, « Raconter le Québec » se fait en français, du moins en québécois traduit en français.
Et pour le coup, leur cible est bien définie, et plutôt stratégique. La Veille Touristique Mondiale de 2011 publie des chiffres démontrant que le Canada jouit d’une forte notoriété dans les marchés européens, et c’est la France qui enregistre les meilleurs résultats. Mieux encore, lorsqu’on demande aux Français quelle est la région qu’ils préféreraient visiter s’ils allaient au Canada, 89% d’entre eux répondent le Québec. Ainsi, Tourisme Québec a décidé de moderniser son image de marque par un nouveau logo-slogan : Québecoriginal, choix simple et judicieux puisque le mot original est compris en français et dans une dizaine de langues.
Le spot vidéo de cette campagne touristique a su tirer parti des recommandations de la CCT qui préconisait une perception  « plus près des traits de personnalité que le Canada souhaite associer à sa marque, en particulier des caractéristiques les plus dynamiques (sûr de lui, fascinant, jeune et plein d’esprit) et insistant davantage pour communiquer des impressions amusantes, énergiques et fascinantes ».
Dans la vidéo « Raconter le Québec »,  la narratrice évoque, non sans le fameux accent, les particularités du Québec et ses anecdotes. Ainsi les Québécois sont « tellement de bonne humeur dans la vie qu’ils ont le seul nom de ville avec deux points d’exclamation, Saint-Louis du Ha ! Ha ! » et autres incongruités de langage qui font rire tant de Français. L’autodérision prime donc dans la première partie du spot, mais, après un ultime trait d’humour, défilent sur un ton poétique les images du Québec que l’on connaît et affectionne.
 La réussite de cette campagne est de pouvoir capter l’attention des Français par un jeu subtil de stéréotypes dans la première partie (les anecdotes racontées ne sont pas les plus connues), tout en montrant de l’originalité dans la seconde. En effet, là où on s’attendait à voir (seulement) les énièmes images de montagnes enneigées, on découvre aussi la vie nocturne et les événements du Québec, en simplicité : «  Chez nous, on crie dehors, on trip dehors, on fait du sport dehors, on joue dehors, on dort dehors, et puis on danse dehors ». Finalement, ça change des publicités touristiques qui ne nous montrent que des paysages sur fond musical. Le pari est réussi, c’est plutôt énergique, du moins ça ne nous endort pas.

Avec ces deux campagnes simultanées, le Canada s’offre une visibilité internationale manifeste. Mais, lorsque l’on s’intéresse aux communications régionales du pays, on n’est pas non plus en reste. Il s’agit d’un phénomène prolixe au Canada, et qui a du succès. Les Français sont donc cordialement invités outre-Atlantique, bien qu’ils n’invitent pas beaucoup en retour…
Marie-Hortense Vincent
 
Sources
http://fredericgonzalo.com/2012/06/18/nouvelle-image-de-marque-de-tourisme-quebec-original/
http://lareclame.fr/46459+canada »http://lareclame.fr/46459+canada
http://fr-corporate.canada.travel/content/news_release/35-million-directors-video
http://fr-corporate.canada.travel/sites/default/files/pdf/Research/Market-knowledge/global_summary_gtw_yr5_2011_fr.pdf

Screenshot du teaser pour En Mode Voiture
Société

Vos données personnelles pour vous servir

 
Selon une étude menée par la Prévention Routière et Assureurs Prévention, 76% des 18-24 ans utiliseraient leur téléphone portable au volant. Un chiffre alarmant mais qui ne semble pas préoccuper les jeunes, qui n’ont pas l’air de se sentir concernés tandis que l’utilisation du portable au volant et son augmentation sont à l’origine de 10% des accidents de la route en 2012. Ainsi que ce soit pour répondre en vitesse à un message, passer un coup de fil, checker ses notifications Facebook ou Tweeter, son usage demeure illégal au volant. Alors que se passe-t-il quand les réseaux sociaux avec Association Prévention Routière et Assureurs Prévention ainsi que l’agence Magic Garden tentent d’alerter les jeunes, principalement, des méfaits de l’usage du téléphone au volant ?
On a droit à une campagne de sensibilisation 100% digitale « En mode voiture ». Grâce à une vidéo interactive à laquelle vous prenez part et quelques unes de vos données personnelles recueillies avec votre autorisation par Facebook, l’effet est décuplé et le choc garanti.
C’est à partir du site enmodevoiture.com qui nous demande l’autorisation de connecter sur notre compte Facebook, que l’expérience démarre. Grâce à un Facebook connect, Mark Zuckerberg choisit de nous mettre dans la peau de ce qui semble être un jeune cadre. Dès l’introduction qui vous met en situation, on le voit débuter sa journée puis faire sa pause à la machine à café où il renverse son café sur des documents car il répond à un SMS et ensuite bousculer un collègue et renverser le reste car il regardait encore son portable. Après cela, c’est vous qui vous retrouvez derrière le volant d’une voiture quand votre téléphone sonne : le nom d’un de vos amis Facebook et sa photo de profil s’affichent. Il est impossible de répondre mais ensuite, vous recevez un message de la même personne. Là, vous avez deux options : lire le message ou ne pas le lire. Mais peu importe l’option que vous choisissez car à la fin, vous êtes tout de même victime d’un accident. Après l’impact, vous voyez votre vie sur Facebook défiler en quelques publications, plusieurs photos de vous et vos amis qui s’estompent, votre dernier pseudo, peut-être un diplôme et même une carte de visite à votre nom. Ensuite vient s’afficher votre heure de décès sur un portable dont la batterie meurt également et finalement c’est tout votre profil qui s’efface. A la fin de la vidéo, l’Association Prévention Routière nous assène d’un dernier message : « 10% des accidents de la route sont liés à l’usage du téléphone au volant. Conduire en téléphonant : 5 fois plus de risques d’accidents. Ecrire un sms, consulter une appli ou naviguer sur internet vous déconcentre, vous risquez une amende ou pire un accident alors au volant je passe en mode voiture. J’éteins mon téléphone où je le mets en mode silencieux. Si je dois répondre à un coup de fil ou un sms urgent, je me gare dans un lieu adapté pour le faire. Si vous téléphonez à quelqu’un et vous vous apercevez qu’il est au volant, mettez fin de vous-même à la conversation. »
En Mode Voiture vise à dénoncer les conséquences de l’utilisation du portable au volant à l’heure ou parmi les 58% de français concernés, 90% répondent à des appels, 41% en passent, 33% lisent des sms ou des mails et 35% en envoient. Elle intervient donc à un moment propice puisque la majorité des gens ne peuvent plus vivre sans leurs portables, Smartphones ou non. C’est une simulation glauque ou notre mort virtuelle via la disparition symbolique de nos données personnelles nous traumatise un peu.
Cette campagne digitale qui fait appel à Facebook n’est pas la première, on se souvient de « Take this lollipop », qui pour le coup faisait vraiment peur, puisqu’on y voyait un serial killer ayant accès à toutes vos données personnelles, et qui avait fait le buzz en 2011, juste avant Halloween. Plus récemment, on a pu découvrir aussi « En direct de la fin du monde » avec la chaîne CANALSAT qui nous fait un preview de ce qui devrait nous attendre le 21 décembre.
Selon Jason Zada, réalisateur de l’application Take this lollipop, lorsque nous voyons nos informations personnelles dans un environnement où elles ne devraient pas être, cela provoque une forte réaction affective. Ceci est lié aux peurs concernant la vie privée, maintenant que nous vivons en ligne. A l’heure où les campagnes de ce genre se multiplient, nous pouvons alors nous demander si nous nous dirigeons vers une ère où les publicités feraient toujours appel à nos données personnelles puisque nous consentons de nous-mêmes à les diffuser sur la toile, et si, sans scrupules, elles utiliseraient nos peurs contre nous pour une efficacité et un impact plus grands.
 
Sabrina Azouz
Sources :
assureurs-prevention.fr
gizmodo.fr
Telerama

Archives

Jacques a dit la Norvège aussi

 
Récemment, une association norvégienne (Le Fonds d’aide internationale des étudiants et universitaires norvégiens) a lancé un clip parodique sur Internet, mettant en scène une fausse campagne caritative appelant tous les Africains à donner un radiateur pour lutter contre le froid qui sévit dans le pays nordique. 3500 tweets et 10 000 likes plus tard, la vidéo a fait le tour des réseaux sociaux. Un single, Africa for Norway, y est interprété par un groupe de choristes appelant à la solidarité avec des paroles aussi profondes que «Les enfants sont gelés/il est temps pour nous de les aider », accompagnées d’images subliminales de blizzard. Le postulat de départ : que penserait-on de la Norvège si cette vidéo était la seule source d’information qu’on en avait ?

Cette initiative originale présente d’abord l’avantage de lutter contre les clichés misérabilistes avec humour. Elle rompt ainsi avec l’uniformité des campagnes humanitaires qui peuvent rendre le public insensible voire hostile en raison de leur manque d’authenticité. On repense à Kony2012, illustration parfaite d’une communication virale qui mêlait (avec un certain talent il est vrai) tous les poncifs du genre, entre pathos à l’américaine et approximations factuelles sur la situation en Ouganda.  Résultat : une visibilité mondiale mais entachée de polémiques et de moqueries. La stratégie adoptée ici est à l’opposé, beaucoup plus ironique et du même coup plus efficace car elle attire la sympathie par le rire, ce qui lui évite de trop prêter le flanc aux critiques. Autre réussite de l’association : révéler la véritable Afrique, au-delà de l’image du nouveau-né rachitique qui prévaut généralement dans l’inconscient occidental. Ne pas la réduire systématiquement  à un pays ravagé par la corruption et le SIDA, c’est aussi montrer un peuple dans sa normalité, et mettre fin aux derniers relents de condescendance paternaliste. Au vu de l’évolution des mentalités cela peut paraitre inutile voire consensuel, mais apparemment pas pour tout le monde si on en croit les commentaires suscités par le clip. Ainsi, voir des jeunes chanter et danser constitue à l’évidence un trop grand choc visuel pour certains youtubers, qui considèrent que « ce ne sont sûrement pas de vrais Africains, ils ont probablement vécu ailleurs ». Troll ou pas, la remarque met mal à l’aise.
Une lecture plus poussée de ces commentaires révèle que le clip n’a vraisemblablement pas été compris par tous, le second degré s’avérant trop subtil à saisir pour quelques-uns  (cf « L’Afrique ferait bien de s’occuper de ses propres problèmes avant d’aider les autres »). Ce malentendu souligne en partie le problème d’un excès de légèreté dans les initiatives de ce type. Ludique, la vidéo est très efficace pour créer le buzz et susciter une prise de conscience générale sur la véritable place de l’Afrique dans le monde d’aujourd’hui, mais elle peut difficilement constituer une alternative convaincante aux campagnes caritatives officielles. Il est certes déplorable que l’on réduise trop souvent ces pays à une poignée de généralités faciles, mais il le serait encore plus que l’on doive réduire l’action humanitaire à de l’infotainment.  Oui, les ONG utilisent le plus souvent la mise en scène d’une insoutenable pauvreté humaine pour toucher le plus possible le public. Oui, ces images frôlent parfois le caricatural. Mais elles n’en restent pas moins vraies. En Afrique on meurt encore de faim, de déshydratation, de maladie. Pas toujours, pas partout, mais de manière encore trop importante pour qu’on puisse l’ignorer.  Y a-t-il vraiment une manière originale de montrer la misère humaine ? À plus forte raison, ne devrait-on pas plutôt se focaliser sur le moyen le plus efficace de la soigner, plutôt que sur celui de la montrer ?
 
Marine Siguier
Pour plus d’infos : http://www.africafornorway.no/
 

Société

Sarkozy : la présence d’une absence ou la construction d’un fantasme médiatique

 
Hegel remarque que tous les grands faits et les grands personnages de l’histoire adviennent toujours deux fois. La plupart des médias français semblent apprécier cette réflexion philosophique en célébrant eux-mêmes les « Cent jours » de notre ancien président de la République. En effet, force est de constater que depuis la rentrée, et d’avantage encore en cette période de crise que traverse l’UMP, l’orchestre médiatique gaulois s’applique sereinement à ressusciter celui qu’on pensait mort.
 
Dis, quand reviendras-tu ?
A l’heure où l’on s’apprête à célébrer les quinze ans de la mort de la chanteuse Barbara, la partition philarmonique des médias semble très bien correspondre aux paroles de la chanson Dis, Quand reviendras tu ? En effet, les journalistes ne se contentent pas de lire de la philosophie, mais s’inspireraient également les classiques de la musique française pour élaborer leur pensée. L’hymne nostalgique des médias en hommage à l’ancien Président n’est pas sans rappeler les paroles élégiaques de Barbara :
Au printemps tu verras je serai de retour (…)
Ton image me hante (…)
J’ai beau t’aimer encore, j’ai beau t’aimer toujours, j’ai beau n’aimer que toi, j’ai beau t’aimer d’amour, si tu ne comprends pas qu’il te faut revenir; je ferais de nous deux mes plus beaux souvenirs (…)
J’irais me réchauffer à un autre soleil (….)

 
Un second mandat dans les médias
Le 22 octobre dernier, on pouvait lire dans Libération la chronique de D.Schneidermann évoquant avec beaucoup d’humour et de réalisme la nostalgie des « sarkolâtres » et des « sarkophobes », tous en mal de buzz médiatiques souvent alimentés auparavant par Nicolas Sarkozy. Durant la semaine du 19 au 25 novembre, l’ancien chef de l’Etat aura fait la couverture de trois quotidiens nationaux (Libération, Le Monde, Le Parisien). Mais c’est l’hebdomadaire Le Point  qui sacralise cette tendance nostalgique pour Nicolas Sarkozy avec une couverture aussi percutante que révélatrice sur laquelle on peut lire le titre « Et le vainqueur est …Sarkozy» accompagné d’une photo de Sarkozy (100000 exemplaires vendus). Le Point avait déjà sorti un numéro titré « Coucou me revoilà… » (27 septembre), précédé par M Le Magazine du Monde avec un article sur Les Sarkozy « la vie d’après », et Le Figaro Magazine qui se demandait si il allait revenir (5 octobre).
Dans l’hebdomadaire ELLE du 26 octobre, où les journalistes M.Fitoussi et V.Toranian interview Carla Bruni Sarkozy, on ne sait pas qui est le véritable sujet de l’article : Carla bruni, ex-Première Dame et chanteuse, Carla Bruni, femme de Nicolas Sarkozy, ou Nicolas Sarkozy lui-même. En effet, le sous-titre « Son homme, l’Elysée, la campagne, la défaite, la maternité, son avenir… » traduit un intérêt particulier pour l’ancien Président. La maladresse des journalistes a été de définir Carla B-S à travers d’abord son mari et sa carrière. L’article n’est pas inintéressant lorsqu’arrive la question désormais incontournable sur le potentiel retour de son mari ; Carla B-S. répond : « C’est un retournement qui n’a rien avoir avec la réalité. C’est plutôt un emballement médiatique. ».
 
Fuis moi je te suis, suis moi je te fuis
Depuis la fin de son mandat, l’ancien chef de l’Etat semble avoir opté pour la discrétion médiatique,  une stratégie qu’il faut reconnaître efficace. On est passé de l’exclamation permanente et de l’agacement  aux chuchotements curieux de savoir ce qu’est devenu, ce que pense, ce que fait Nicolas Sarkozy. Les médias s’emparent de ce silence qu’ils rendent assourdissant (notamment le choix de l’ancien président de ne pas se prononcer sur son soutien à un candidat pour la présidence de l’UMP.).
Cette nostalgie consensuelle soulève malgré tout plusieurs paradoxes. En effet, les sondages révèlent que cette nostalgie ne serait pas partagée par l’opinion : un sondage CSA pour RTL montre que 55% des Français ne souhaitent pas le retour de Nicolas Sarkozy. Mais cette information n’a pas été correctement relayée dans les médias, ceux-là même qui font du retour possible de Sarkozy en politique un véritable acquis, selon un imaginaire collectif de la reconquête du pouvoir comme une norme historique établie (Pensons à Napoléon, De Gaulle…).  Autre paradoxe critique de ce fantasme médiatique : la mise à jour du jeu vicieux auquel se prêtent à merveille Nicolas Sarkozy et les médias, le fameux « fuis moi je te suis, suis moi je te fuis », splendide stratégie du chat et de la souris.
 
Instrumentalisation du chœur 
Au-delà de « l’emballement médiatique », cette stratégie ambivalente serait un excellent moyen pour l’ancien chef de l’Etat d’acquérir une nouvelle légitimité, c’est-à-dire une reconnaissance et une visibilité que lui confèreraient, malgré eux, les journalistes. En effet, les médias semblent être un excellent instrument de légitimation (ou de décrédibilisation) pour réhabiliter une figure politique, avant de préparer son éventuel retour. Mais ce « coup d’Etat » n’est pour le moment que médiatique et anecdotique. Il faut savoir s’en méfier. Bien que les contours de l’ombre qu’il porte encore sur la politique soient accentués dans le paysage médiatique,  Nicolas Sarkozy ne s’est plus exprimé publiquement sur sa carrière depuis une dernière interview en mai dernier. Or, les absents ne sont qu’un nom : il y a des moments où l’on doute de leur vie.
 
Margaux Le Joubioux
Sources
Le Point « Et le vainqueur est…Sarkozy » (22 novembre)
ELLE « Carla Bruni-Sarkozy : la nouvelle vie » (26 octobre)
Rebond de D.Schneidermann « Et si on créait un Sarkoparc ? » 22 octobre
Barbara, Dis quand reviendras tu ?
– Tombeau, Poésies de Mallarmé